Saisonnier n’est pas un métier. Rencontre avec un Skiman (Paroles brutes )

imagesMon métier ? C’est vulgairement appelé Skiman. On va dire ça comme ça. Sinon c’est : technicien, vendeur, conseiller glisse, matériel de ski, de randonnée, cycle … Les appellations varient en fonction de employeurs.

En arrivant dans la région, je me suis installé dans un village en montagne où en gros les activités à l’année étaient inexistantes, ou très difficile à trouver à moins de faire des déplacements, et donc voilà…Soit, en gros, t’es agriculteur, l’été, ils sont dans leur ferme ou dans les champs, en alpage de brebis etc… et l’hiver, ils bossent en tant que perchman, dans les restos, des trucs comme ça…Soit t’es saisonnier. Donc j’ai trouvé un job saisonnier pour commencer et voilà…j’ai commencé à bosser en station. Au début, j’avais fait une demande au remontée mécanique et j’ai été aiguillé sur un magasin de location. Et ça a commencé comme ça. L’univers sports d’hiver, que j’adore, j’avais un peu décroché et j’ai replongé un peu à travers cet emploi. Le premier job…ça m’a plu et d’un autre coté, j’ai été comme beaucoup qui débute là dedans. C’est à dire que j’ai été pris alors que je n’avais pas de formation spécifique. Je pense aussi que les employeurs en profitent pas mal. Ça leur permet d’avoir des employés assez malléables. Comme ils ont pas forcément une grande expérience du métier, ils ont des salaires relativement bas. C’est ce qui s’est passé pour moi la première année. J’étais jeune, je m’attendais pas à avoir un salaire exceptionnel. J’ai plu les mêmes critères maintenant.

Donc la première saison, je me retrouve directement en magasin, au contact des clients. En gros, la saison commence une semaine à 15 jours avant les vacances de Noël mais parfois les nouveaux arrivent le jour même. Les responsables arrivent avant pour rentrer le matériel, étiqueter, faire la mise en place, le montage des fixations pour les skis… Donc, tu arrives, tu as pas de formation spécifique, tu démarres tout de suite avec le client à donner des chaussures, des skis. Ou on a une formation un peu bâclé par le skiman qui a un peu d’expérience. Moi, j’ai commencé dans le Dévoluy. Le boulot m’a passionné. J’ai découvert cet univers montagne, j’ai redécouvert le ski à travers ça. C’est un milieu qui m’a plu et dans lequel j’ai eu envie de me spécialisé.

Ça c’est finalement bien passé avec les clients. C’est assez particulier comme ambiance, comme rythme, c’est à la fois court et très soutenu. Quand tu commence par Noël avec une très grosse affluence de gens. Je savais pas vraiment à quoi m’attendre. Après les clients, c’est comme partout il y a les chiants et ceux avec qui ça se passe très bien. Le soucis dans ce genre de magasin c’est qu’il y a trop de commerçants qui abusent et qui prennent les gens pour des vaches à lait. A partir du moment où il y a des commerçants et des employés qui sont attentifs aux besoins des clients, ça se passe beaucoup mieux. Selon les stations la clientèle est très différentes, il y a des stations plus ou moins huppées et des stations où il y a surtout de l’abattage avec des tours opérators, y a des stations familiales. Les tours opérators sont souvent issus de pays étrangers (hollandais, pays de l’Est etc…). Ils passent par une centrale, ils font des prix « tout compris » qu’ils négocient auprès des magasins pour économiser mais pas forcément pour faire économiser leur clientèle… Les groupes arrivent pendant toute la saison mais aussi beaucoup pendant les périodes creusent pour faire du remplissage. Pour certains magasins c’est une clientèle « low cost » et donc le produit servi est «low cost ». On devrait les servir comme les autres clients mais au final … Le magasin touche jusqu’à 30 % moins cher en passant par un tour opérator mais la famille ou l’étudiant qui passe par cette centrale paient quasiment les prix normaux. Le patron du magasin est content car il fait du « volume » qui demande pas mal d’heures de travail. C’est une question de politique commerciale soit ils axent vers des particuliers soit ils s’orientent vers des tours opérators pour faire du volume mais souvent au détriment de la qualité. Il y a souvent une grande différence de traitement entre les 2 clientèles parfois sur une même journée. Ça amène souvent à des conflits, soit au niveau des employés, soit avec les clients qui voient bien qu’on leur sert des sous produits. Je suis dans une situation très désagréable. J’aime bien mon boulot et il n’y a pas de raisons pour traiter un client différemment d’un autre. Il y a des personnes qui mettent leurs économies d’une année pour une semaine de ski en février. J’ai envie qu’elles repartent avec un super souvenir.

Une journée en station varie selon les magasins et selon les postes. En gros, tu fais des heures magasins, 8h30/19h30, avec normalement une pause à midi… On nous demande d’être très polyvalent : du nettoyage, à la tenue des caisses, …Ce sont des journées assez longues. Il y a des boutiques qui ont plus d’effectifs et qui font tourner et des boutiques qui tirent sur la corde et font travailler jusqu’à 42, 49 heures… Il y a souvent une négociation à la « carotte » sur les salaires, les horaires, les primes. Et on se fait souvent avoir. Il y a beaucoup de jeunes saisonniers qui sont dégoûtés à cause de ça. Les heures sup’ sont récupérés ou payés en prime (pour économiser…). Il y a pas mal d’abus.

Les jours noirs se sont les vendredis, samedis et dimanches. Le vendredi, on a tout les retours, on rentre l’intégralité du parc pour le ressortir le lendemain. On a rarement le temps de faire l’entretien. Il y a des magasins qui passent du temps là-dessus et d’autre presque pas en une saison…ou bien un coup de fart pour cacher les rayures…Je trouve ça limite honteux quand je vois les skis dans certains commerces. On retrouve des skis droits qui ont plus de 10 ans d’âges mais qui sont loués pour faire du chiffre en période de vacances. Il y a des magasins où ça se passe très bien et qui travaille sur une image de qualité. Moi en tant que Skiman, mon boulot c’est quand même de louer du matériel en bon état et sécurisé. Parfois on te laisse pas le choix, tu dois louer des skis qui ressemblent à des rappes à gruyères et c’est toi qui doit gérer la relation avec le client…

Ce qui fait que je vais recommencer chaque saison ? C’est quand je suis content dans mon boulot, que des clients reviennent chaque année. Je suis content de découvrir le matériel, de faire des essais.

Parfois on mange sur le pouce en un quart d’heure, on voit pas le jour en fait, ça demande une concentration, 10h à régler des skis sur un podium. Ce qui me fatigue le plus ce sont les conditions de travail qui ne changent pas : les ateliers exigus, pas d’aération, les normes de sécurité qui sont pas respectés…Et puis sur les salaires aussi, on nous demande d’être très polyvalent mais la rémunération n’est pas gratifiante. Les patrons paient quasiment le même salaire un employé qui a 10 ans d’expérience qu’un jeune tout nouveau. Ils préfèrent prendre des petits jeunes malléables. A la longue le manque de reconnaissance de l’expérience est fatiguant. Parfois aussi les clients sont usant. Il y a des « clients types », qu’on revoit souvent. Celui qui entre, qui veut tout de suite la remise « client fidèle » sans même regarder le matériel, des clients qui se basent sur l’esthétique, ceux qui essaient 15 paires de chaussures, ceux qui n’y connaissent rien et qui vont faire « comme si », le client qui arrive à 18h58…On en a pas beaucoup dans une journée mais en fin de saison on a pas forcément envie de les voir.

Il y a aucune contractualisation d’un saison sur l’autre. L’été, ils ont rarement besoin de monde. Ils bossent eux même dans leurs magasins. On a aucune garantie. C’est à dire que si pour une raison quelconque une saison se passe mal, il n’y a aucune certitude de ré-embauche la saison prochaine. C’est ce qui leur permet de faire tourner les effectifs. Il y a un gros « turn over » sur la plus part des magasins. C’est représentatif de beaucoup de choses…Ils gardent pas les employés quand ils manquent de sérieux, quand les saisonniers changent de stations ou de vie…C’est sûr qu’au bout de 3 ans, il y en a beaucoup qui sont épuisés des conditions et préfèrent trouver un emploi stable. Et ensuite l’autre raison pour laquelle les employeurs reprennent pas les saisonniers : c’est quand le saisonnier comprend la situation et commence à demander des augmentations ou des améliorations des conditions d’embauche, si il veut améliorer le service etc…Il y a des magasins où j’ai pas mal donné de ma personne, pas mal fait de choses pour que ça s’améliore, et au niveau du service et au niveau du matériel proposé. Et après, il y a pas forcément eu le retour…

Skiman, pour que ce soit un vrai métier, il faudrait que ce soit reconnu. Il y a des diplômes qui existent mais qui sont pas forcément reconnus. Il y a des centre de formations soit plus orientés commerces, soit plus techniques mais ceux qui sortent avec un diplôme sont pas assurés de trouver plus de boulot ou une rémunération meilleure. Donc c’est pas forcément valorisant. En plus, c’est vrai que du côté des droits au chômage, c’est pas simple non plus. J’ai le souvenir, quand j’ai débuté au sortir de mes saisons et au bout de 3 saisons, on avait le statut saisonnier, et du coup j’avais des mois avec 300 ou 400€. Il faudrait obliger les patrons qui te reprennent sur plusieurs saisons à changer le type de contrat. Il y a un réel besoin de main d’œuvre. Il y a certains patrons qui font par exemple du lissage de temps de travail sur l’année, ça permettrai une certaine sécurité pour les saisonniers. Et il y a la question du logement. C’est un soucis énorme. C’est une des raisons pour lesquelles certains ne reviennent pas. Il y a des loyers à 500€ et du coup tu bosses pour payer les factures. Le pire c’est qu’il y a beaucoup d’employeurs qui ont investis dans l’immobilier. Mais ils préfèrent louer à la semaine à des touristes plutôt que de les proposés à leurs employés. Ou alors on tombe dans des logements de type cage à lapins qui sont proposés en colocations à 3 employés. Ça permet au patron de faire payer un loyer à 300 € et parfois de réduire les salaires… Il y a certaines stations, l’hiver, tu vois les parkings, ce sont des camions de partout, avec des saisonniers qui vivent dedans pour économiser.

J’ai souvent fait les 2 saisons. L’été et l’hiver. Une fois qu’on est parti là-dedans…ça peut être aussi plus difficile, surtout pour des personnes qui ont pas forcément de diplôme, de faire autre chose, quand on s’est formé là-dedans. Repartir à zéro. On est nombreux aussi à aimer ce rythme. Aujourd’hui, j’ai un projet plus personnel. Je veux utiliser cette formation de terrain mais pour bosser pour moi. Si j’y arrive pas, je recommencerai. Je chercherai de nouveau . Et ça aussi c’est usant : retrouver un magasin, avoir de nouveaux patrons, de nouveaux collègues qui ne te connaissent pas, un patron qui ne tient pas forcément compte de ton expérience…Tu repars pas entièrement à zéro mais chaque magasin à son propre fonctionnement. Mon ancienneté est presque un handicap.

Cette année, je me suis étonné que les heures sup’ n’ont pas été prises en compte…et je me suis rendu compte que j’étais le seul de tous les employés à avoir fait une réflexion à ce niveau là. Les autres sont des nouveaux. Le salaire reste un sujet très tabou dans ce milieu là. Même entre employés, on ne se dit pas combien on gagne. Et quand ça se sait, ça amène à rivalité. Des conflits internes qui détournent l’attention des problèmes réels. Moi, il y a des choses que je laisse plus passer ! Il y a du boulot pour que ça change. Et par rapport au droit de grève, c’est édifiant. En fait, il est carrément inexistant. Comme les contrats sont en CDD…dans tous les commerces, les gens se plaignent, mais il n’y a jamais de grève. Il y a les gars des remontées qui sont un peu organisés et qui peuvent bloquer la station. C’est un droit qui est passé à la trappe. Même si on est mécontent, personne ne parle de grève. Si on fait grève une année, l’année suivante personne ne nous reprend. Il y a aucune structuration entre nous…et c’est pareil sur le logement.

3 commentaires

  1. Je cherché des infos sur les métiers de saisonniers à la montagne, en particulier « skiman ». Finalement au vu de cet article, je vais y réfléchir. lol.

  2. Vision assez objective de la montagne, des touristes parfois relous et des entrepreneurs locaux pleins aux as et pourtant pas toujours réglos avec les jeunes venus travailler une saison à la neige… l’envers du décor.

  3. Mec, c’est ouf, j’ai l’impression que tu décris ma vie depuis que je suis skiman, c’est EXACTEMENT ce que j’ai vécu, et que je vis encore, on n’existe pas pour la société pourtant c’est grâce à nous que ça tourne rond, sans nous, les saisonniers, ils peuvent fermer leurs stations de ski et les touristes pourront oublier leurs vacances au ski. Mais malgré ça, rien ne change, et pas que pour les skimans. Le pire c’est que tu à écris cet article en 2013 et en 2019 rien n’a changé, c’est limite pire qu’avant. J’en suis vraiment au point ou je me dit, soit j’arrête et je trouve autre chose à faire, soit je vais en suisse, au moins t’a le salaire qui est là, mais le reste c’est pareil qu’en france, soit je vais dans une station à l’étranger, et il y en a plein (canada, japon, nouvelle zélande, ect) mais le statut est encore différent et rien ne dit que ce sera mieux qu’ici. Enfin bon, ça m’a fait plaisir de lire ton article et j’espère qu’il servira à d’autres. Courage à tout les skimans et saisonniers qui liront ces lignes, le vent tournera un jour en notre faveur 😉

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