230 000 signatures récoltées en moins d’un mois à travers toute l’Italie, des mobilisations exceptionnelles pour atteindre l’objectif fixé par la loi électorale dans des régions particulièrement difficiles comme le Val d’Aoste ou la circonscription des îles (Sardaigne, Sicile), le pari de la lis8te « l’Altra Europa con Tsipras » est déjà gagné. Elle présente des candidats dans toutes les circonscriptions italiennes aux élections européennes du 25 mai prochain.
La situation politique italienne est complexe et, à bien des égards, emblématique des débats et tensions qui parcourent l’Europe. La crise économique et le berlusconisme ont été le terreau fertile pour le désintérêt envers la vie politique et le développement du Mouvement 5 Etoiles de Beppe Grillo qui mêle, dans la plus grande confusion idéologique, le refus de la situation existante, des discours populistes et l’expression de revendications, de colères et de frustrations extrêmement profondes. Aux élections législatives de février 2013, il recueille près de 9 millions de voix, 25,5% des suffrages (soit environ 10% de plus que les plus optimistes des sondages), le plaçant en position d’arbitre grippant de manière définitive le fonctionnement traditionnel des partis politiques italiens. De plus, l’aggravation de la situation économique, dans un pays où les amortisseurs sociaux sont plus faibles qu’en France, pour les classes moyennes, notamment, favorise l’apparition, de mouvements sociaux corporatistes, régionalistes, comme les « forconi » que l’extrême-droite essaie de manipuler plus ou moins ouvertement.
La gauche sort en ruines de cet épisode électoral. Le Parti Démocrate s’engage dans une grande coalition avec les forces du centre droit et s’éloigne toujours plus, idéologiquement et politiquement de toutes les positions sociales-démocrates qui structuraient encore sa ligne politique et qu’il avait portées au cours de la campagne électorale. Quant aux deux partis qui représentent à des titres divers la gauche radicale, SEL (Sinistra, Ecologia è Libertà ) et Rifondazione Communista, ils se retrouvent, pour le premier, embarqué dans une coalition électorale avec le PD, ce qui lui a garanti 37 députés, sans lui permettre de dégager ni une ligne politique autonome ni une légitimité auprès des mouvements sociaux, et, pour le second, extrêmement affaibli après son échec électoral (700 000 voix, 2.2%, aucun élu).
C’est dans cette situation qu’est constituée la liste l’Altra Europa con Tsipras, en janvier 2014. De nombreux secteurs de la gauche italienne ont conscience des enjeux et de la situation d’urgence économique, sociale et démocratique qui s‘impose à eux. D’un côté, le Parti Démocratique au gouvernement, d’Enrico Letta à Matteo Renzi suit résolument sur la voie de « l’administration ordinaire du présent », de la gestion de l’Italie selon les exigences néo-libérales inspirées par Merkel. De l’autre, le Mouvement 5 Etoiles de Grillo agite le slogan « cassons tout » vide de toute issue politique. Ces secteurs de la gauche italienne ne se reconnaissent pas, ou pas uniquement, dans les partis qui ont échoué à plusieurs reprises, (échec de la Gauche Unie, de la liste Arc en Ciel, de la liste Révolution Civile aux élections de 2013) et cherchent une méthode efficace et innovante pour présenter une programme et des formes de mobilisation alternative. Plusieurs initiatives convergent vers un appel signé par une dizaine d’intellectuels reconnus de la gauche radicale italienne, qui fait ouvertement référence à la candidature d’Alexis Tsipras à la présidence de la commission européenne, présentée par le Parti de la Gauche Européenne. Ce premier appel est suivi par un appel provenant de secteurs associatifs, syndicaux, du mouvement des centres sociaux, des mouvements de jeunes étudiants, chômeurs et précaires ( ACT, Agir, Construire, Transformer), de militants engagés dans la défense des biens communs, ou de mouvements de défense des droits des femmes.
Cette initiative, indépendante des partis est rapidement soutenue par Rifondazione Communista, puis à l’issue de son Congrès par la majorité de SEL, la minorité préférant soutenir le Parti Démocratique et la candidature de Martin Schultz. Les listes, qui sont constituées pour chacune des cinq grandes circonscriptions doivent, à la fois, refléter la diversité des composantes et ne pas compter de militants ayant exercé de responsabilités électives durant les dix dernières années. Le programme s’articule autour de trois thèmes : le refus du néo-libéralisme en tant que paradigme économique et donc de l’austérité et toutes ses conséquences, la question de la souveraineté, non pas en tant que souveraineté « nationale », mais en tant que souveraineté de décisions concernant les biens communs, les moyens de production, en tant qu’ « idée de gouvernement » de la banque centrale européenne, des projets d’investissements européens, enfin autour du thème de la solidarité entre les peuples en Europe, illustrée par exemple par les questions de la dette et du rôle de la Banque Centrale Européenne.
La campagne a donc commencé par une intense mobilisation à travers toute l’Italie, afin de recueillir les 150 000 signatures indispensables pour avoir le droit de présenter des listes. Cette première victoire n’a été possible que grâce à l’engagement de milliers de militants issus de comités locaux, mettant en commun leurs réseaux, les liens tissés dans les luttes, au delà des spécificités des uns et des autres. Les différentes échéances politiques du printemps ont ensuite permis aux comités de la liste l’Autre Europe de prendre toute leur place politique, dans la lutte contre les projets austéritaires du gouvernement Renzi, dans la dénonciation des projets anti-démocratiques de modification de la Constitution italienne ou dans la manifestation contre l’austérité et pour le droit au logement du 12 avril à Rome, ou encore les manifestations de commémoration de la libération de l’Italie, le 25 avril, avec une forte tonalité antifasciste.
Le 1er mai, l’Altra Europa a participé aux manifestations syndicales et des mouvements sociaux dans la plupart des villes italiennes. Elle a vigoureusement dénoncé les violences policières qui ont marqué la manifestation de Turin. Dans les dernières semaines de campagne, la liste l’Altra Europa doit faire face au boycott des medias (un recours a été déposée auprès de l’Agcom, autorité de contrôle de la communication) et met en œuvre toutes sortes de formes de mobilisation innovantes afin d’atteindre le seuil de 4% des suffrages, qui lui permettra d’avoir des élus au Parlement Européen.
Quoi qu’il advienne, l’Altra Europa con Tsipras sera partie prenante de la recomposition de la gauche radicale italienne. Sans faire abstraction des partis se réclamant de la gauche de transformation, cette recomposition passera également par le débat en cours dans le syndicalisme italien, et l’actuel Congrès de la CGIL en est la preuve. Elle passera aussi par la mise en commun des expériences, des revendications et des formes de luttes qui éclosent avec force en Italie. C’est dans une situation d’urgence ressentie par tous que se déroule cette recomposition, tant est présent le sentiment qu’un échec de plus aurait des conséquences désastreuses pour l’existence même d’une gauche qui n’a plus de représentation parlementaire, pour toute possibilité d’expression d’une orientation politique alternative au néo-libéralisme, pour la légitimité même des luttes.
Mathieu Dargel, informations recueillies auprès de Giuseppe di Molfetta, représentant à Paris de la liste L’Altra Europa.
Site officiel de la liste : http://listatsipras.eu/