AU COEUR DU LABYRINTHE par Jean-Pierre Quillec.

« Le pouvoir ne s’impose pas d’en haut, mais il joue sur les désirs »

(réponse au texte de Jean Paul Leroux)
Comment s’orienter dans le dédale politique actuel ?
Ces réflexions me conduisent à préciser les miennes en les posant ; à analyser ce malaise que je ressens toujours (et certes qui me conduit à une forme d’immobilisme) avec cette sensation que nos argumentations sociopolitiques se construisent trop souvent sur l’omission (sinon le déni) de notre constante humaine : son ambivalence par rapport au pouvoir et à la possession.
Cette analyse est très succincte et modeste. Par sa schématisation et simplification elle perd peut-être de sa pertinence. Je ne vais que tenter de présenter mon approche personnelle.
Cela m’a demandé un travail important. J’ai eu du mal à organiser et à structurer mon propos.
Je n’ai pas recherché la polémique, mais une confrontation amicale. J’espère ne pas trop rendre encore plus difficile l’orientation dans « ce dédale ».

Préambule
Le discours du politique par l’utilisation fréquente de la métaphore de la pyramide, structure dans notre imaginaire, une organisation sociale et politique. Les puissants, possédants, coercitifs dominent du haut de la pyramide. Par un effet graduellement descendant le peuple se situe en bas. Il se voit sans autres modalités d’action que la révolte contre l’organisation ‘’chapeautée’’ de son mal vivre. Cette représentation est acceptée comme une évidence. Tout semble s’organiser, se construire depuis le haut de la pyramide.
Mon expérience dans le bâtiment m’inciterait à suspecter la validité de cette image.
Comment édifier une pyramide en commençant par le haut (sans l’intervention d’une puissance transcendante) ?
Penser et exprimer sous cette forme l’organisation hiérarchique de la domination, la légitime, la construit, « Elle est », elle s’impose par la puissance de sa représentation symbolique. (D’autant que « l’être est un effet du dire » selon Gorgias !!!)

Peut-on imaginer (évoquer) un pouvoir préexistant aux individus, aux sociétés, (le haut vers le bas), ou est-ce que ce sont les individus dans les sociétés constituées, qui mettent en place des pouvoirs dominants, (le bas vers le haut) ? Si notre société est le résultat de ces deux dynamiques en confrontation permanente, dans un rapport de force, comment symboliser cette notion pour qu’elle ne quitte pas l’esprit de nos discours ?

Est-il possible d’insuffler, à ce bas, les exclus, ou les soutiers du système (de la pyramide) l’espoir de pouvoir eux-aussi, modifier cette société, s’ils se perçoivent comme sujets agissants, plutôt que de les conforter dans une représentation d’eux-mêmes, désarmés, inaptes, incapables à faire face aux supers dominants, et à un système qui les écrase ?

I .LE CAPITALISME

Les rapports interindividuels vers la domination

Judith Butler dans son ouvrage : la vie psychique du pouvoir rend compte clairement de cette dynamique de confrontation, de son origine.

« Aucun sujet n’émerge sans un attachement passionné à ceux dont il ou elle dépend de manière fondamentale. Cette passion primaire pour la dépendance rend l’enfant (et ensuite l’adulte) vulnérable à la subordination et à l’exploitation.
Cet attachement sous ses formes primaires, doit à la fois venir à l’être et être nié ; pour assurer l’émergence du sujet, sa venue à l’être doit consister en son déni partiel.
Voué à rechercher la reconnaissance de sa propre existence selon des catégories, des termes et des noms qu’il n’a pas lui-même conçus, le sujet cherche le signe de sa propre existence en dehors de lui-même, dans un discours qui est à la fois dominant et indifférent.
Le sujet produit par le pouvoir se présente comme le sujet qui fonde le pouvoir, il est contraint de répéter les normes par lesquelles il est produit ».

Ici le sujet est considéré en situation de subordination.
Il me parait important de repérer la notion de répétition : le sujet est contraint de renouveler la contradiction entre un désir de pouvoir qui s’exerce sur lui et le fait être, et le déni de ce pouvoir. Pour exister dans son être, et détenir à son tour ce pouvoir qu’il imposera à un autre sujet.
Mais qu’en est-il du sujet en situation de pouvoir ?
Ce désir/déni est aussi celui d’un leader, d’un supérieur hiérarchique, d’un dominant, d’un possédant.
Hegel dans la dialectique du maitre et de l’esclave pour la reconnaissance, fait apparaître la dépendance du maître à l’esclave, non seulement pour sa vie matérielle, mais essentiellement parce que c’est l’esclave qui le fait advenir, dans sa conscience de soi, par la reconnaissance de sa position de maître. .

Donc aliénant ou aliéné nous n’échappons pas à cette confrontation avec le pouvoir qui nous fait être (en tant que sujet) en nous reconnaissant, et la nécessité de combattre ce pouvoir pour être (en tant qu’individu), alors qu’à chaque étage de cette pyramide les rapports de dominations se reproduisent.
Au bout de nos argumentations « shématisantes » nous finissons par croire que, de même que le Roi était le représentant sur terre d’un Dieu transcendant, le capitaliste serait le représentant d’un capitalisme transcendant.
Comment cette opposition dominés/ dominants se constitue en organisation sociale.
La constitution des institutions
Une société, quelque soit sa grandeur, s’organise pour que ses membres puissent cohabiter et collaborer sans qu’elle risque de s’autodétruire.
À partir d’un imaginaire partagé, elle adopte des règles qui se formalisent, s’institutionnalisent.
A ce propos je reprends quelques citations de Castoriadis.

« Le social : ce qui ne peut se présenter que dans et par l’institution.
L’institution se caractérise par la fonction qu’elle doit remplir. Par son rôle dans l’économie d’ensemble de la vie sociale.
Les institutions remplissent des fonctions vitales sans lesquelles l’existence d’une société est inconcevable
Le social- historique est l’union et la tension de la société instituante et de la société institué, de l’histoire faite et de l’histoire se faisant.
Le social-historique, en tant que dimension du collectif et de l’anonyme, instaure pour chacun et pour tous un rapport simultané d’infériorité et d’extériorité, de participation et d’exclusion ».

C’est donc bien la société qui produit ses propres règles, mais, poursuit Castoriadis : « Dés que cette institution est posée, le social instituant se dérobe, il se met à distance, il est déjà aussi ailleurs ».
Nous nous trouvons à la charnière de la problématique dominants/dominés, l’instituant en se dérobant permet l’autonomisation de l’institué.
L’institution une fois posée semble s’autonomiser. Crée pour être au service de la société, celle-ci se retrouve au service des institutions, aliénée par elles.
J’entends la société de chacun et de tous.
De l’autonomie des institutions à la domination
Le livre de Patricia Hibou Anatomie politique de la domination analyse pertinemment les processus de passage de l’autonomie de l’institué à sa domination sur l’instituant.
En voici quelques extraits :
« La domination n’est pas seulement issue d’une vision ou de dispositifs consciemment construits par les acteurs étatiques, mais par un processus historique complexe, largement inconscient et contradictoire, fait de conflits, de négociations et de compromis entre groupes et entre individus.
Les dispositifs concrets de domination n’ont pas forcément été pensés comme tels. »

Quels sont les moteurs de cette autonomisation.
« Le pouvoir ne s’impose pas d’en haut, mais il joue sur les désirs
La rencontre du commandement avec le désir d’obéissance.
La demande générale d’une intervention supérieure.
La demande d’ordre, de sécurité et de stabilité, est un invariant de l’exercice de la domination.
La protection vis-à-vis de l’extérieur, de l’Autre est un ressort essentiel de l’action de l’état ».
Il y a donc interaction, et contradiction entre la demande d’un pouvoir agissant, (la nécessité de soumission à ce pouvoir pour qu’il puisse être opérant), et la non acceptation d’un pouvoir autoritaire et contraignant.

Le capitalisme moderne : analyse de quelques facteurs de son émergence en tant qu’institution dominante

a) La Grèce antique
Depuis ce berceau de notre civilisation c’est le travail de la raison s’appuyant sur les mathématiques et la physique qui a permis l’élaboration de la pensée occidentale.
Un transfert des croyances s’est opéré, de la religion, avec ses certitudes dogmatiques et l’espoir d’un monde meilleur post-mortem, vers la science, avec ses vérités démontrées, ses outils de mesure et d’évaluation, de standardisation, et la possibilité d’accéder dans un futur proche à un monde idéalisé.
La soumission à un pouvoir, puissant et fortement structuré, légitimé par une transcendance, s’est considérablement affaiblie pour se reporter sur cet autre pouvoir légitimé par la raison.

b) Le précapitalisme
Auparavant, c’est la terre qui constituait le capital. Celui-ci était détenu par une classe sociale, hiérarchisée par les liens du sang, dont le point culminant, le Roi, représentant d’un droit divin en tirait sa légitimé de pouvoir.
Cette classe était propriétaire non seulement de la terre, comme moyen de production, mais aussi de ceux qui permettaient cette production.
(Cette situation perdure encore largement dans certains pays.)

c) Le colonialisme, les marchands, l’expansion de la planète, la financiarisation
La civilisation occidentale doit d’abord sa richesse à la découverte de nouveaux continents, à l’asservissement/extermination des producteurs autochtones, à la dépossession ou le vol de leurs productions, par le développement du colonialisme.
Pendant leur règne, les grands marchands ont accumulé fortune et pouvoir. Ils ont aussi impulsé le développement des arts et des techniques, ces dernières favorisant la découverte et l’exploitation de nouveaux territoires.
La découverte de la rotondité de la terre auraient dû faire prendre conscience de sa limite. Paradoxalement il semble que celle-ci a continué à être perçue dans sa planéité et en possibilité d’expansion infinie. (Simplement, puisqu’elle est ronde, les biens marchands y circuleront mieux !)
Cet expansion de l’espace, de la planète, la projection au-delà de l’horizon physique, ont suscité de nouveaux rêves, de nouvelles utopies du vivre ensemble.
D’autre part apparaissaient de nouveaux moyens de productions, qui n’étaient plus liés à la terre.
Avec l’affaiblissement du clergé (effondrement de la classe dominante par droit divin,), la chute du féodalisme (soumission à une lignée de sang) ce sont encore les marchands qui ont investi dans les nouveaux moyens de production, exerçant sur les producteurs les mêmes droits que leurs prédécesseurs.
C’est à ces propriétaires riches de leurs nouveaux moyens qu’il convenait de se soumettre.
Actuellement avec la financiarisation mondiale la situation est de plus en plus confuse. A côté de la prospérité des grandes fortunes privées, de la complexité et de l’opacité des multinationales, le capital est également détenu par une multitude d’actionnaires, souvent même petits porteurs qui exercent eux aussi une pression vers l’augmentation des dividendes dans l’indifférence des couts sociaux.

d) Les techniques et l’énergie
Un autre élément de l’émergence du capitalisme moderne, a été l’accès et l’exploitation des sources d’énergies fossiles grâce au développement de la technique, ce qui a permis d’accroitre la capacité de production.
Ce couple énergie/ technique par son perfectionnement et l’autonomisation a favorisé la reproduction à très grande vitesse d’objet en très grandes quantités, permettant l’accroissement démesuré de la rentabilité du capital mis en œuvre.
e) Les luttes
Les nouveaux ouvriers d’usine, en sommes anciens serfs reconvertis, se sont retrouvés dans les mêmes rapports de domination et de soumission, avec des maitres marchands, à l’issue du féodalisme.
La légitimité de ce nouveau pouvoir, reposait sur le fait qu’il était possesseur du capital de production, et qu’il était soutenu par les institutions en places.
Quand les ouvriers producteurs ont pris conscience que ce pouvoir dominant dépendait de leur production, donc d’eux mêmes, les premières grèves ont vu le jour. Il s’agissait de revendiquer de meilleures conditions de travail, et de rémunération. L’utilisation de la grève, ce moyen de pression sur les capitalistes leur a fait découvrir la fragilité de leurs positions dominantes et la nécessité de négocier dans cette confrontation.
Ces combats très durs et violents ont aussi été portés par l’espoir d’une société nouvelle, plus égalitaire. Ils ont permis l’amélioration des conditions de vie des ouvriers et l’établissement du salariat.
Le salariat avant d’être considéré comme une aliénation a été une conquête sociale. Il a permis à l’ouvrier de ne plus être complètement à la merci des propriétaires en définissant les conditions de durée, de périodes de travail, la rémunération de leur assujettissement. Le contrat, ainsi formalisé exige une confrontation permanente au patronat, il régularisait les rapports de forces.
f) Vers une nouvelle forme de soumission
On attribue à Ford cette idée que s’il voulait parvenir à vendre ses voitures il convenait d’élargir la clientèle potentielle à ses propres ouvriers, donc d’augmenter leur salaire.
Cette anecdote est symptomatique de l’installation d’une nouvelle sorte d’équilibre/interdépendance entre dominants et dominés dans notre société de relative abondance qui fétichise l’objet. Par l’augmentation des revenus de ses salariés l’employeur a négocié un peu plus de paix sociale tout en en favorisant ses propres possibilités d’expansion commerciale. L’accès à toujours plus de jouissance dans la consommation amène le salarié à plus de soumission, d’acceptation. Il en résulte une tension contradictoire entre son désir de combattre celui qui le soumet, et cette pulsion vers toujours plus d’objets de consommation. (Désir de l’objet, désir du désir de l’autre possesseur ou convoitant).
Le salarié adhère à ce monde de productivité et à ses logiques de management vers la rentabilité (pour que l’objet de consommation reste accessible) tout en en étant la première victime. Ce nouveau rapport à l’objet modifie le rapport de chacun à son semblable faisant éclater la notion de collectifs de solidarité au sein de l’entreprise.
De plus les nouvelles formes de management basées sur l’évaluation des performances de chacun vers des objectifs personnalisés, favorisent l’individualisme.
Au sein de l’entreprise les rapports interindividuels se sont modifiés.
Ainsi, les luttes de pouvoir se manifestent dans toutes les strates de l’entreprise et de la société (de la pyramide).
Le rapport de force dans la lutte de classe particulièrement présent dans les luttes du début de l’ère industrielle, demeure mais s’est aussi déplacé.
Nous en sommes arrivés à la lutte de chacun contre chacun (lutte des « places ») dans tous les groupes de travail.
Ce processus est nettement repérable dans La démarche qualité des entreprises. Elle préconise que chaque membre d’un procès de production, se situe en position à la fois de fournisseur et de client. Chacun est client de celui qui se situe en amont du procès, et fournisseur de celui qui se situe en aval. Ceci dans le but affiché d’un contrôle de qualité, mais aussi pour favoriser une concurrence, comme dans un échange marchand.

3. Capitalisme et expansion

a) La représentation imaginaire du capitalisme, nouvelle idéologie, nouveau paradigme
Dans l’imaginaire collectif le « capitalisme » est conceptualisé comme un système, une entité, qui a une volonté, des désirs, des intentionnalités, même des humeurs. Il pense et s’adapte, il est l’organisateur de la société dans sa forme pyramidale. Il n’est pas nous, il se situe en dehors de nous, englobant et surplombant, par sa puissance, le genre humain.
Dénoncer le système capitalisme comme producteur du Mal, (d’une forme du Mal) c’est considérer que chacun n’est pas responsable de sa position à l’intérieur de ce système.
Rester dans cette représentation compromet le changement. Nous pensons et disons le capitalisme sous cette représentation, ce faisant nous le faisons être et perdurer.
Nous le reconnaissons dans sa puissance, et nous acceptons notre soumission.
Depuis un vécu de soumission à une puissance supérieure, (que ce soit à un dieu, à un système, à la publicité qui nous « oblige » à consommer, aux médias qui nous « manipulent », à une organisation secrète, à un grand Autre, et à nos désirs de consommation) nous ne croyons plus à la possibilité d’un changement.
Pourtant nous sommes les créateurs du monde social et économique dans lequel nous vivons, nous sommes inducteurs de ce système. Nous sommes le système, nous le pensons, le disons et nous le faisons.
Se vivre dans l’impuissance face à la force des détenteurs des capitaux, maintient notre impuissance et conforte leur domination.
Quel est l’intérêt des dominants et des dominés à la perpétuation de cette représentation ?
Mis à part les situations extrêmes, nous sommes bien souvent, dans nos vies, à des degrés divers, dans toutes les strates de la pyramide, alternativement et/ou simultanément dans ces deux positions. Nous désirons nous affranchir de la domination, ce faisant nous risquons d’occuper une position comparable à celle que nous combattions.
Les ‘’puissants, dominants’’ savent bien tout l’intérêt qu’ils ont de ne pas ébranler cette représentation des rapports de domination, et ils le font en ne se privant pas d’exhiber leur richesse réelle ou symbolique.
Il faut également noter que dans une société d’aliénation la classe dominante elle-même est en situation d’aliénation, elle ne peut mystifier le reste de la société avec son idéologie sans se mystifier en même temps elle-même.

Je reprends quelques citations de Patricia Hibou.

« L’idéologie est d’autant moins extérieure à la société qu’elle n’est pas seulement définie « par le haut » par l’expérience de ceux qui « portent » le pouvoir et dirigent le pays, mais qu’elle finit par être largement partagée par l’ensemble de la population à travers les expériences de la vie quotidienne.
Le monde des idées n’est pas autonome, l’idéologie n’est pas préexistante ; au contraire, elle trouve ses fondements dans la vie elle-même.
L’idéologie, les idées qu’elle véhicule sont largement issues de la société et la pénètrent tout aussi bien.
Le consentement est la part du pouvoir que les dominés ajoutent à celle que les dominants exercent directement sur eux ».

A propos de l’époque soviétique, Alexandre Soljenitsyne écrivait : « cette société satisfait la majorité écrasante de la population. Pas en tout bien sûr, mais dans l’ensemble et pour l’essentiel ». (Autres temps, autre société, mais des similitudes dans le rapport à l’aliénation).
Et pour Max Weber : « tout véritable rapport de domination comporte un minimum de volonté d’obéir ».
L’autre révolution : remise en cause d’une structure qui limite
Au delà d’une soumission aux autorités religieuses avec leur promesse d’un au delà enfin paradisiaque, aux autorités seigneuriales avec leur promesses de protection terrestre, nous avons vu intervenir les promesses de la raison et de la science nécessitant, entrainant la constitution de nouvelles structures de régulation, de domination donc de soumission.
Une autre évolution s’est opérée dans la civilisation occidentale, qui, en France, a pris la forme d’une révolution en mai 1968.
La légitimité d’un pouvoir, celui des maître et du patriarcat s’effondrait brusquement dans un enthousiasme festif.
Les oppositions précédentes au pouvoir, en 1789, s’étaient mobilisées contre les représentants d’une transcendance, ou d’une noblesse. En Mai 68, c’est l’institution patriarcale qui a été remise en cause, et les diverses formes coercitives que celle-ci prenaient dans la société.
Malheureusement une gauche n’était pas au rendez-vous. La gauche traditionnelle a soutenu trop mollement les mouvements syndicaux, n’a pas su voir la porte ouverte au consumérisme dans cet élan vers le plus de jouir, et a raté un rendez-vous avec l’émergence de l’écologie qui prétendait mettre en place une régulation a l’expansion débridé du capitaliste par la promotion d’une existence sobre dans le respect du savoir faire et de la nature.

Le temps et l’infini : « fin du temps des vieilles pendules »
Les représentations du temps témoignent des croyances d’un peuple à une époque donnée, reflètent une organisation sociale et expriment la qualité du rapport de chacun à sa propre finitude.
Ces représentations peuvent être cycliques (en Asie), en spirale (en Amérique du sud), liés aux cycles astronomiques (pour les Grecs) dans un cosmos incréé et sans commencement, figurées par un cercle symbolisant l’éternel recommencement, ou par une flèche….
Pour les chrétiens ce temps est linéaire mais borné, depuis la création jusqu’à l’espérance post apocalyptique.
Notre représentation moderne occidentale le conçoit commençant dans un big-bang et se prolongeant dans un infini indéterminé.
Sa représentation matérielle et symbolique à évolué.
La pendule et son cadran circulaire, (le père « remettait les pendules à l’heure ! ») évoque aussi un temps cyclique. C’était aussi un temps agricole attentif à la course du soleil, un temps religieux soumis par la cloche au rythme des prières. C’était aussi le temps des sirènes des usines à l’heure d’embauche. Mais le rythme des machines exige une fragmentation du temps. Le temps collectif a cédé la place au temps des pointeuses de la montre à quartz qui ne s’arrête jamais dans un temps infini et individuel puis au temps auto-surveillé vers l’efficacité par les alarmes des smart-phone. C’est un temps qui se gagne, qui s’accélère, que l’on comptabilise, monnaye et échange.
Ce temps que nous nous représentons à la fois linéaire et infini, c’est aussi celui l’histoire se faisant, de la croissance et du progrès illimité.

d) Le don, la dette, le crédit.
Marcel Mauss dans son ‘’Essai sur le don’’ montre le fonctionnement des échanges à travers l’obligation de donner de recevoir et de rendre. Dans cette circularité des échanges la dette est constante.
Cette dette est constitutive des rapports sociaux. Nous naissons débiteur envers ceux qui nous ont fait être, et nous ne pourrons nous en acquitter. Par le don, nous pouvons momentanément passer du statut de débiteur à celui de créancier, en reportant la dette sur l’autre, ou en la transmettant à la génération suivante, ( par exemple, traditionnellement, sur le fils premier né). La dette circule mais ne se solde pas. On ne peut tenter de la solder que par le sacrifice à des dieux obscurs, voraces et d’ailleurs insatiables.
Le crédit, à plus ou moins long terme vient repousser l’échéance de la dette, misant aveuglément sur un avenir meilleur au point d’hypothéquer son propre corps, en sacrifice éventuel, comme le marchand de Venise engageait une livre de chair en attendant le débarquement lointain mais indubitable de ses nouvelles richesses.
Dans cette ère d’expansion sans limite, dans le cadre de cette croissance mythifiée, la circularité de la dette est rompue (au risque de nos propres corps ou de celui des générations futures!) Le rapport entre recevoir et rendre se distend, s’éloigne et s’oublie. Le crédit épouse la linéarité des espaces et du temps. La spéculation sur les possibles à venir devient la norme. La dette se rembourse sur cette croissance qui ne peut que venir Mais la dette demeure et s’amplifie, Justement elle oblige à la croissance sans fin, qui constitue la raison d’être du capitalisme.
Sur le plan social on peut se demander si dans les années 60, la remise en question du patriarcat n’est pas venue bouleverser ce concept de dette générationnelle.
La notion de droit prend le pas sur celle de devoir :
– Droit à toujours plus de jouissance dans les loisirs, par les biens de consommation….le crédit permettant la réalisation de ces aspirations (Il est étonnant de constater que progressivement ce droit à la consommation devient le devoir de chacun …. Pour soutenir sa propre image…pour soutenir la croissance !!!!)
– Droit à se revendiquer construit par soi même dans le cadre d’une méritocratie libérale. Ce que chacun est, il ne le doit qu’à lui même.

Nous prélevons donc sans l’obligation de rendre. Nous prélevons sur la nature qui nous donne, sur la terre, les mers, les ressources. Nous prélevons sur le travail des autres, proches ou lointains
Beaucoup payent déjà de leurs corps une dette qu’ils n’ont pas contractée.
Ne faut-il pas craindre, au bout du bout de cette expansion qui finira bien par trouver sa limite, que cette dette que l’on ne pourra plus acquitter risque bien de se payer par beaucoup d’autres livres de chairs.
On peut penser que c’est la représentation imaginaire de notre environnement en expansion qui a favorisé le capitalisme.
Nous vivons dans la certitude d’une possibilité d’expansion infinie de la planète, que nous pouvons utiliser sans borne ses ressources, de l’énergie ; Nous croyons aux solutions scientifiques inépuisables, au progrès (un et unique) sans fin. Nous nous agitons dans un temps très mesuré mais dont la comptabilité renforce notre sentiment d’infinitude.
«  Ce sentiment d’illimité s’est transformé en projet de masse ».
Il en découle le passage de la production à la surproduction, le développement du crédit qui repousse toujours l’échéance du solde de la dette, la main mise sans scrupule sans retenue sur une main d’œuvre lointaine et illimitée.
Pourrait-on concevoir la fin de ce mouvement d’expansion comme un au-delà du capitalisme ? S’y assortirait-il pour chacun la prise de conscience de sa finitude, de sa mortalité. Ce retour d’une forme de cadrage améliorerait-il la tolérance à la frustration ?
Les conséquences
Quelles sont les conséquences de ce système ?
Nous devons reconnaître que nous bénéficions, pour la plupart d’entre nous occidentaux, d’un incroyable confort matériel. Il se fait au prix d’énormes inégalités, au dépend des plus pauvres. Nous sommes les grands gagnants de ce monde, trop limité pour que tous soient ainsi gagnants.
On constate une diminution globale de la pauvreté au niveau de la planète, avec aussi en contrepartie, son augmentation pour une partie de sa population, un creusement de l’écart des richesses.
La terre est pillée. La dégradation de notre environnement continue inexorablement vers un inconnu impensable, que l’on ne veut ou que l’on ne peut penser. Il en découle des conséquences sanitaires dont le constat ne cesse de s’alourdir.
Nous sommes complices de ce système, nous le confortons par nos attitudes consuméristes, par nos luttes pour le droit à la consommation quand nous oublions de lutter pour des valeurs du respect de l’humain et pour le seul vrai partage envisageable depuis la modération de nos besoins.
Nous vivons pourtant dans un grand inconfort psychologique, en état de frustration perpétué, volontairement soumis à l’injonction à ce bonheur consumériste derrière lequel il faut que nous courrions toujours dans la conjonction de l’économie de marché et du scientisme dont elle se soutient. Nous laissons transformer le savoir en biens de consommations et la nouvelle science, normative, acceptée comme une religion qui prendrait soin de notre immortalité, applique à tous les domaines d’activité humaine un discours d’expertise qui exclut l’équivoque.
Dans ce souci d’efficience la raison a rejoint la déraison.
Notre prétention est de lutter pour, avec, en tant que ‘’travailleurs’’ de la base. Qui sont-ils ? Où sont-ils ? Qui sommes-nous ?
On parle de masse salariale, de son coût, sa productivité surveillée par des grilles d’évaluation que l’on nomme outils de travail.
Depuis l’abstraction financière, même le savoir-faire peut devenir un handicap, l’amour du travail une grossièreté.
« La qualité devient une propriété émergente de la quantité ».
Parce qu’il faut de la croissance, tout le monde semble d’accord sur ce point.
Même les combats écologiques sont présentés comme facteurs de croissance
C’est cette machine qu’il faut nourrir, ce concept, cette abstraction, ce nouveau DIEU insatiable.
Nous le reconnaissons, l’entretenons volontiers comme l’objet de nos pulsions.
Nous y offrons notre énergie (une livre de chair) en sacrifice comme pour s’acquitter d’une dette symbolique.

II. LA GAUCHE

1. Où en sommes-nous ?

La gauche, dans ses différents courants, est schématiquement issue des grandes luttes du début de l’ère industrielle. Elle semble parfois demeurer nostalgique de ces luttes, de ces combats, de cette opposition entre deux classes (trois avec la bourgeoisie) argumentée par un langage très simplificateur.
Jusqu’à encore récemment il s’agissait du combat entre les capitalistes détenteurs des gros moyens de production et une classe laborieuse nombreuse dans les entreprises. Le syndicalisme portait cette force d’opposition. Et c’est tout à son honneur d’avoir mené les combats des grandes avancées sociales.
Avec l’affaiblissement de la grande industrie, les délocalisations, ou la réduction du personnel par l’automatisation, les grandes structures employant des milliers de salariés sont beaucoup plus rares. Le fonctionnement syndical en est affaibli. Les syndicats ne représentent plus que 7% de la population active.
La gauche reste attachée aux grandes manifestations. Les défilés sont essentiellement menés par les grands syndicats de la fonction publique, des anciennes entreprises nationalisées ou en passe d’être privatisées, et de quelques dernières grosses entreprises employant un nombre relativement important de salariés. A quelques dizaines de mètres de ces cortèges, tout un monde d’ouvriers, d’employés de petites entreprises, des magasins, des services, continue de travailler dans l’indifférence et bien souvent aussi dans l’ignorance de ces manifestations. Il suffit d’aller les voir, de leur parler pour savoir qu’ils ne se sentent pas concernés par les slogans qui y sont scandés.
Il semble que deux mondes, qui devraient constituer la gauche, se côtoient, sans se connaître. Lorsque ce peuple s’est fait un peu entendre, comme en 68, les grands syndicats, débordés, ont vite réussi à obtenir une augmentation du SMIG (grâce leur soit rendue) en échange d’un retour aux postes de travail. Fin du grand soir.
La classe ouvrière est devenue la grande oubliée de cette révolution dont elle était pourtant la première protagoniste.
Comment se fait-il que toute cette population, se reconnaissant pourtant (souvent encore ?) de gauche, ne se sente pas représentée par les mouvements dit de gauche ? Pourquoi lorsqu’un leader politique de gauche, lorsqu’il rentre en contact avec le peuple se déplace-t-il le plus souvent dans une grande entreprise, rarement dans les quartiers populaires, et encore moins dans la campagne à la rencontre de ce petit peuple ? Il semble que pour la gauche comme pour le capitalisme tout continuera à se jouer depuis et par la grande industrie, (ce moteur de la croissance.

Le capitalisme s’est comporté comme une pompe aspirante de toutes les matières premières de la planète, produites à grand peine par les autochtones, et le plus souvent exportées des pays pauvres vers les pays riches. Maintenant il devient couramment plus rentable pour ces derniers de faire transformer ces matières sur leur lieu de production, et d’importer les produits finis. Il existe toujours des populations suffisamment pauvres et désespérées pour travailler à moindre coût. Si elles s’enrichissent, et deviennent exigeantes, il suffira de changer de continent, de passer de la Chine à l’Afrique, à l’Europe aussi !
Globalement notre société participe à l’exploitation de personnes à travers le monde avec la bonne conscience de « leur donner du travail » et chacun, pour l’acquisition des moindres biens de consommation  en profite. C’est pourtant aussi au dépend des travailleurs privés d’emploi par les délocalisations que persiste la consommation de produits à moindre cout quand chute le pouvoir d’achat. Depuis que le discours tiers-mondiste est passé de mode ne faisons nous pas trop souvent impasse sur cette réalité dans nos comportements.

De nouveaux espoirs avaient animé la révolte de 68 ? Ils se schématisent à l’extrême par deux tendances différentes.
La destitution de l’autorité patriarcale permettait la déliaison de la transmission de la dette et du devoir, la remise en cause de la structure familiale, de l’autorité liée à la fonction, dans toutes les strates de la société, et peut être ainsi, d’une certaine façon, permettait de dépasser certains freins vers l’accès à la jouissance et à l’hédonisme consommatoire. On espérait de cette révolution qu’elle renverserait les hiérarchies de pouvoir et de richesses.
Une autre tendance allait vers la recherche de nouvelles formes de vie individuelle ou communautaire, permettant de mettre en pratique des idéaux de partage, d’égalité, de liberté. Influencé par l’écologie naissante, et consciente des dégâts de l’industrialisation capitaliste et consumériste, elle recherchait une sobriété de vie qui réduirait les impacts sociaux et écologiques négatifs.
Il est regrettable que cette seconde tendance n’ait pas suscité l’intérêt qu’elle méritait par les politiques de gauche. Celles-ci se sont plutôt emparées des désirs consuméristes. Il s’agissait plutôt de démocratiser l’image de la réussite par le développement du pouvoir d’achat. Elles acquiesçaient au développement de ce pouvoir d’achat par l’industrialisation, la nucléarisation quelqu’en soient les conséquences sociales et environnementales. Elles ont favorisé ainsi le développement de structures aliénantes favorables au capitalisme.
« …Ce nouveau malaise de la civilisation, malaise de l’humanité qui a progressivement consenti a sa propre aliénation en s’offrant elle même en spectacle dans la jouissance esthétique des marchandises  »
Maintenant le temps a fait le tri, les partis dits révolutionnaires ont presque tous disparus. La société a récupéré en l’édulcorant (tout doit sembler être vert) les idées promues alors par les mouvements marginaux alternatifs, les fameux écolos qui faisaient sourire, cette minorité longtemps agissante en dehors des partis.
Ainsi, une idée alors minoritaire a pu émerger au point de devenir la doxa du moment, sans même l’appui de campagne médiatique couteuse. Ce qui veut dire que cela est possible, pour le meilleur ou pour le pire.

La gauche est toujours animée par des valeurs de partage, du souci de cet autre plus démuni. Il y a toute une population qui essaye de partager et de vivre ces valeurs, dans son travail, dans la vie quotidienne, en tant que citoyens.
Mais n’y a t-il pas un émiettement, un émoussement de ces valeurs mises en avant lors de grandes envolées lyriques de nos leaders.
En sommes nous encore à l’époque de l’évergétisme ou le riche était accepté dans la mesure ou il redistribuait une partie de sa richesse, sans que l’on éprouve le besoin de remettre en question les moyens d’acquisitions de cette richesse ?
S’agirait-il au pire de trouver le moyen d’accaparer les richesses qui provoquent plus d’envies que de colère ( au mieux pour les redistribuer aux plus démunis, façon Robin des bois) plutôt que d’essayer de constituer un système ou la plus value qui se dégage de la production démultipliée par la technique et l’énergie puisse avoir un retour dans une proportion plus équitable vers les opérateurs de cette production.
La fascination pour la magnificence demeure, nous en redemandons, nous nous satisfaisons des miettes.

2. La disjonction entre l’homme/citoyen/travailleur

Les disjonctions que l’on constate entre l’homme/citoyen, l’homme/travailleur sont peut être aussi générées par le discours politique lui-même. Ce discours s’adresse aux travailleurs, aux citoyens, et non à l’individu dans sa totalité d’homme. Il externalise ces fonctions (citoyen, travailleur) de sa totalité d’être.
Cet individu pourrait se vivre comme citoyen/travailleur si on s’adressait à lui dans toute sa dignité d’homme.
De réduire les hommes et les femmes à leurs fonctions, c’est reprendre le « discours du capitaliste » pour qui l’humain n’est qu’un moyen de production.

a) la disjonction homme/ travailleur
Ce terme de « travailleurs » renvoie à l’époque des grandes entreprises industrielles, des luttes syndicales, des grandes grèves. Le discours de la gauche est nostalgique de ces grandes luttes (tellement courageuses et honorables) pour l’amélioration des conditions de travail, et l’émancipation des travailleurs (ou prolétaire) théorisé par les idéologues.
Que représente maintenant ce mot pour les personnes en situation de travail, ou les « travailleurs » potentiels sans travail ?
Quand j’étais un travailleur parmi d’autres travailleurs, dans un contexte apolitique et non syndiqué, ce terme désignait pour nous une ‘’ masse’’ indistincte. Il avait une connotation à la limite du péjoratif. Nous nous définissions comme employé, ouvrier, plus ou moins spécialisé, (ou par une spécialisation de métier,) par une position hiérarchique dans un processus de production. Le terme ‘’travailleur’’ renvoyait à un discours de leader politique. Il dévoilait une méconnaissance de la réalité d’un ensemble d’individus idéalisé ou déprécié en ‘’masse aliénée’’. Il renvoyait à un mythe.
Cet humain au travail n’est ni un simple moyen de production dont la rentabilité doit être optimale (versus capitaliste) ni le simple élément d’une masse laborieuse exploitée et soumise à « la nouvelle » notion de pénibilité (versus discours politique basique mais trop fréquent).
Depuis et pour un combat nécessaire, il faut que chacun en situation d’emploi, se trouve, à travers le discours qui s’adresse à lui, reconnu dans sa souffrance au travail, mais aussi dans ce qu’il y apporte de lui même et qui le tient. Il ne s’agit pas seulement que chacun se place en concurrence avec ses semblable sur une échelle de pénibilité. Il faut aussi se souvenir que la majorité des hommes au travail, même quand les conditions sont pénibles et répétitives, s’appliquent en conscience à exécuter leur tâche le mieux possible et qu’ils en retirent une satisfaction.

b)La disjonction homme/citoyen

Rester citoyen dans sa vie d’homme, c’est rester responsable de ses actes dans la cité.

Avec le souci du réchauffement climatique nous sommes incités, en tant que citoyens, à surveiller notre impact sur l’environnement dans tous nos actes de la vie quotidienne.
Nous pouvons connaître notre « bilan carbone » lié à nos déplacements, à ce que nous consommons, à ce que nous recyclons etc. Nous en connaissons les conséquences écologiques sur la terre, la mer, l’espace, les espèces animales.
A ma connaissance aucun mouvement et parti de gauche ne nous incite à prendre conscience de notre impact social, et de la façon dont nous pesons sur d’autres personnes, pour augmenter notre bien être au-delà du nécessaire. Aucun discours ne propose d’apprécier notre collaboration à ce capitalisme et au post-colonialisme, que nous combattons si vigoureusement à d’autres moments.
Le discours politique ne s’incarne pas assez dans la vie au quotidien, en dehors des situations liées au travail et aux moments politiques forts.
D’autre part qu’en est-il de notre engagement citoyen contre le capitalisme, si après la réunion entre ‘’camarades’’ nous partons faire nos courses dans le premier supermarché lié à une multinationale, tout en sachant que le prix le plus bas dont nous profitons est directement lié aux conditions sociales déplorables du personnel ; que la plupart de nos achats proviennent de l’exploitation encore plus féroce d’autres personnes loin de nous ; et que nous enrichissons au passage quelques ‘’puissants’’.
Nous sommes sensés être capables de changer nos comportements pour lutter contre le changement climatique, nous pourrions aussi les changer pour lutter contre le capitalisme au quotidien.
Ya-t-il une logique à revendiquer des possibilités de consommation accrues (et qui font donc tourner la machine toujours dans le même sens) plutôt que de réfléchir a des attitudes de consommation responsable. N’y aurait-il pas moyen de consommer différemment, même avec de petits moyens pécuniers ?
Voilà une façon de rester citoyen.

3. La gauche et la finitude

Il nous faut maintenant réapprendre à vivre sur une planète qui ne grossit pas avec l’augmentation de la population. Il n’y aura pas de tout pour tout le monde. Il va falloir partager ce gâteau devenu trop petit.
Il est fort probable que les politiques de droite (et certains courants de gauche) continueront encore longtemps à promouvoir une politique expansionniste, depuis les avancées de la science, de la technique, depuis l’espoir dans le développement des facultés de l’homme, dans cette religion du progrès ou dans l’espérance de l’arrivée d’un sauveur.
C’est peut-être pour la gauche l’opportunité d’anticiper une réflexion sur le « comment vivre ensemble » face à la finitude qui se révélera tôt au tard, inéluctablement.
C’est elle qui devrait se trouver la mieux adaptée, préparée, du moins en théorie, à affronter un partage et une solidarité inéluctablement nécessaire à moins que nous ne tombions dans la barbarie.
Une révolution scientifique s’opère par le passage d’un paradigme à l’autre.
Une révolution (ou mutation) politique nécessite ce type de transfert.
C’est chaque fois qu’un nouveau paradigme émerge dans une société qu’elle rentre en mutation à long terme ou en révolution. Il s’agirait cette fois de ne pas rater une opportunité.
Il est urgent pour la gauche de tenter de raisonner en dehors du paradigme expansionniste.
C’est maintenant à elle (la gauche) donc à nous, de démontrer notre désir d’aller vers un nouveau paradigme, dans la conscience de la finitude, susceptible de permettre le développement de ce qui constitue nos valeurs.

4. Un autre discours pour la gauche ?

La politique s’élabore par le discours, le verbe ; pas seulement celui de nos leaders, nos représentants ou délégués, mais aussi par le notre.
Ce discours, pouvons nous continuer à le proférer en nous dérobant face à ces bouleversements ? Devons-nous continuer à argumenter sans fin pour convaincre que notre système de développement économique  nous conduit à un désastre ?
Ce discours peut-il encore se réduire à traiter de l’évolution de notre pouvoir d’achat national, du chômage, du temps de travail, de sa pénibilité, alors que le monde s’effondre sous nos pieds, alors que beaucoup de nos congénères vivent en dessous du seuil de pauvreté, ici, près de nous, et pas seulement à l’autre bout de la planète.
Actuellement ce discours reste très timide, confus, contradictoire dés qu’il s’agit de croissance et de consommation. En ce qui concerne l’écologie, Il n’a toujours pas comblé un retard de plusieurs décennies, alors que l’aggravation de la situation exigerait des analyses et des positions bien au-delà de quelques vœux pieux.

Si ces nouvelles problématiques ne sont- pas abordées, est-ce dans la crainte de décevoir un électorat potentiel ? Pour rester positif face aux difficultés qui apparaissent (dans le déni du négatif) ? Parce que ce serait par la peur qu’ils (les Autres) nous manipulent ? Pour ne pas assumer nos contradictions ?
Pour ne pas « désespérer Billancourt » comme le pensaient ce, et ces intellectuels qui revenant de l’URSS, constatant la différence entre la propagande, le rêve et la réalité. Et n’en disant rien aux ‘’travailleurs’’.
L’illusion resterait-elle préférable au réel ?
Pour ces supposés désespéré, la vie aurait continué,  passé éventuellement un moment de spleen,; cela ne les auraient pas empêché de repartir à leur poste de travail, à la chaîne de montage…
Par contre pour les désespérant, la situation serait devenue beaucoup plus problématique, car en perdant leurs rêveurs, ils auraient perdu leur position de leader vers un monde glorieux. La désespérance se serait-elle pas situé du côté du ‘’maitre’’ ayant perdu ses ‘’serviteurs’’ ?.

C’est à nous de proposer, un changement, un modèle, sans passer par la transition, ce nouvel élément de langage qui envahit le champ politique, qui ne représente plus un passage mais l’installation dans une période et un projet indéfinis. La transition c’est la slow- révolution ; elle ne dénonce pas l’urgence ; elle refuse de bousculer les consommateurs ; elle reste inscrite dans cette dynamique du mieux à long terme ; elle suggère
que solutionner la crise de l’énergie améliorera la qualité de nos rapports sociaux.
Ce n’est pourtant que par une nouvelle capacité à vivre ensemble que nous affronterons les problèmes à venir.
Ce n’est pas dans l’abondance, ou en se mobilisant individuellement pour l’acquérir, que peut manifester de la solidarité.
C’est une leçon de l’histoire.
a) Un discours réaliste est-il anti-électoraliste ?
Dans un premier temps, peut être. Mais la sanction électorale des précurseurs cesse à court terme. Quoiqu’il en soit, il s’agit de demeurer fidèle à une éthique. Il ne s’agit pas de mener une politique politicienne, mais de préserver les générations à venir.
Depuis l’existence d’acquis syndicaux favorisant certains secteurs d’activité, la promotion de plus de partage est souvent suspectée d’une volonté de nivellement par le bas. C’est sans doute déjà une argumentation de nantis construite depuis cette conception de la pyramide, selon ce concept capitaliste que plus le gâteau du sommet est gros plus il y a de miettes pour la base. La gauche doit prendre le risque de présenter un autre modèle qui considère les préoccupations de tous en commençant par les plus démunis.
Ce ne peut être qu’un discours difficile et exigeant. Mais il n’est pas certain que, le peuple, les gens, la masse, les camarades, les citoyens, les autres (au choix) ne soient pas en capacité de l’entendre et d’y adhérer plutôt qu’à un de ces discours lénifiants sur ces jours meilleurs à venir grâce à la reprise de la croissance, l’infaillibilité de la science et la révolution numérique ….
Ce discours, il convient de ne pas la laisser à d’autres qui l’utiliseraient objectifs bien différentes.
b) Quelles exigences ?
Il ne s’agit pas comme Winston Churchill pendant la dernière guerre de promettre, « du sang et des larmes », promesse qui a eu, paradoxalement un effet stimulant sur la population. Ni d’annoncer le retour à la bougie et autres régressions programmées. Mais il s’agit d’oser dire qu’un monde se termine, que les promesses d’un toujours plus ne seront pas réalisables, de cesser d’avancer des promesses électorales impossibles à tenir, de construire des lendemains qui chantent et déchantent. Il s’agit de faire savoir que nous ne sommes plus les maitres et possesseurs de la nature que nous devons apprendre à respecter, qu’une des conditions de la socialisation est la régulation de nos pulsions et qu’il va falloir faire de même avec notre pulsion consommatrice pour survivre.
Un discours de gauche doit rappeler que la solidarité intercommunautaire est autant un devoir qu’un du.
Tout ce que chacun peut en recevoir provient toujours en bout de chaine, du travail et de la peine de quelqu’un d’autre.
Ce devrait être aussi l’exigence d’un discours de gauche de rappeler nos responsabilités citoyennes dans l’interdépendance.

Conclusion

Il reste à nous interroger sur notre capacité réelle de partage et de solidarité. Avec les plus riches, certainement puisque nous en profiterions, mais qu’en est-il avec les plus pauvres, dont nous sommes les riches ? Lorsque cela deviendra inéluctable, et que ce partage nous dépossédera ? Car en fait, cela nous pourrions le faire dés maintenant, sans attendre le grand soir.
Avons-nous vraiment envie de faire avec les autres ? Pas seulement dans la fête, le ludique, mais dans l’ouvrage, le travail, le labeur, la peine ; de créer une œuvre commune, sans comptabiliser, mesurer, évaluer, quantifier les efforts de chacun ou le moins faire de l’autre. Savons-nous le faire ? Elle serait peut être là, la réalité de l’anticapitalisme ?

Pour terminer voici quelques interrogations essentielles de Castoriadis qui mériteraient que l’on s’y attèle.
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Dans l’occident, l’ « individu » supposé « libre » de donner à sa vie le sens qu’il « veut » ,ne lui « donne » dans la majorité des cas que le « sens » qui a cours, c’est à dire le non-sens de l’augmentation indéfinie de la consommation.

La perte de sens global n’est pas un vide mais une opportunité, une chance pour sortir de désenchantement, une possibilité de liberté.

Une société autonome, une société véritablement démocratique, est une société qui met en question tout sens prédonné, et où est libérée la création de significations nouvelles.

Il y a un rapport entre le vide de sens et le grand art. Le grand art est à la fois fenêtre de la société sur le chaos, et la forme donnée à ce chaos.

Une société démocratique sait, doit savoir, qu’il n’y a pas de signification assurée, qu’elle vit sur le chaos, qu’elle est elle même un chaos qui doit se donner sa forme, jamais fixée une fois pour toutes.

Ce n’est qu’à partir de là qu’elle peut créer et, le cas échéant, instaurer des « monuments impérissables » : impérissables en tant que démonstration, pour tous les hommes à venir, de la possibilité de créer la signification en habitant le bord de l’Abîme
Il faudrait que désormais les êtres humains (des pays riches) acceptent un niveau de vie décent mais frugal. Pour qu’ils acceptent cela il faudrait qu’autre chose donne sens à leur vie. Cette chose c’est le développement des êtres humains, à la place des gadgets

La politique devrait être cette recherche du comment vivre ensemble au bord de l’abîme.
Jean-Pierre Quillec

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