Erri de Luca, ou le droit à la parole critique

L’écrivain italien défend le droit au sabotage et à la « parole contraire » que la justice lui conteste quand il s’oppose à la LGV Lyon-Turin. Son dernier ouvrage est aussi un plaidoyer pour la responsabilité et l’engagement des intellectuels.

On ne présente plus Erri de Luca, grand romancier italien dont la plume abondante fait le tour du monde. Voilà l’auteur poursuivi en justice pour avoir soutenu le mouvement NO TAV qui s’oppose à la construction de la ligne à grande vitesse du val de Suse. Le percement et la pulvérisation des gisements d’amiante ont mobilisé celles et ceux que la dispersion de ces fibres toxiques horrifie (lire aussi « Erri de Luca, éloge du sabotage »).

La plainte déposée par la LTF (Lyon Turin ferroviaire) accuse Erri de Luca d’avoir « incité publiquement à commettre un ou plusieurs délits ». Il est notamment fait référence à des propos tenus par le romancier dans une interview au Huffington Post. Le romancier y donne son point de vue : les discussions avec le gouvernement ayant échoué, le chantier de la ligne inutile en construction doit être saboté. « Pour moi, c’est un viol de territoire », écrit Erri de Luca.

Dans un court essai chez Gallimard pour revendiquer le droit à la parole contraire, il s’explique. « J’accepte volontiers une condamnation pénale, mais pas une réduction de vocabulaire », écrit-il. « Saboter » ne signifie pas forcément une dégradation matérielle. Erri de Luca nous emmène surtout sur un terrain d’actualité : la responsabilité des intellectuels, des artistes, dont la parole compte dans l’espace public.

La parole de l’écrivain

Après avoir énoncé sa nostalgie d’un temps où Pasolini, grand intellectuel italien de la gauche révolutionnaire, écrivait dans la presse officielle et était invité régulièrement par la télévision publique, Erri de Luca constate le silence assourdissant des artistes de notre époque : « essayez donc aujourd’hui de demander au firmament du tapis rouge une signature pour la plus innocente pétition. »

Pourtant, rappelle le romancier, « un écrivain possède une petite voix publique. Il peut s’en servir pour faire quelque chose de plus que la promotion de ses œuvres ». Et notamment, il peut utiliser sa parole au service des sans voix, « être le porte-parole de celui qui est sans écoute. »

La plainte déposée contre lui a finalement mis sur un piédestal sa parole contraire. C’est son « premier prix littéraire en Italie », conclut-il. Dans ce texte court et libre, Erri de Luca affirme aussi que « l’utopie n’est pas un point d’arrivée, mais un point de départ ».

 Clémentine Autain

La parole contraire, d’Erri de Luca, Gallimard, 8 euros.

Pour suivre le sort que la justice italienne réserve à Erri de Luca, il est possible de consulter le site internetiostoconerri (littéralement « jesuisavecerri »), ainsi que sa page Facebook.

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