(article paru dans regards à lire aussi Le jour)
D’aucuns diront que Podemos n’a pas gagné ces élections locales, la formation de Pablo Iglesias n’obtenant « que » la troisième place, juste derrière le PSOE et le PP. Mais en faisant presque jeu égal avec les deux partis historiques, les « Indignés » changent la donne.
Hier, en faisant de Podemos une toute nouvelle alternative, en votant contre les désastres de l’austérité, les Espagnols ont fait ce que tant de citoyens européens espèrent, mais que si peu proposent : l’audace d’un autre avenir politique.
Première étape : un bipartisme caduc
Podemos, et dans une moindre mesure Ciudadanos, ont littéralement pillé les voix du PP et du PSOE, et réussi là où IU échoua jadis. Le deux partis historiques ont fait tout leur possible, non pas pour gagner, mais pour conserver un maximum de sièges, de voix, de dignité et ainsi, de légitimité. Hélas pour eux, le mal est déjà fait. Au-delà d’un bipartisme en voie d’extinction, l’Espagne ouvre une nouvelle ère politique : la fin du règne de la majorité absolue. Le voilà, le changement promis par Podemos. Ou du moins sa première étape : rendre le système caduc.
Avec 35% d’abstention, soit un peu plus qu’aux dernières élections locales de 2011, voici les derniers résultats :
Podemos n’ayant pas concouru sous sa propre bannière, au profit d’alliances avec les forces de gauche locales, il est difficile d’estimer son score global. Mais sachez que les médias espagnols le situent dans la catégorie « Autres », pas toujours au complet d’ailleurs…
À Barcelone, l’union fait la force
« Nous avions une opportunité historique et nous en avons profité. » C’est avec ces mots qu’Ada Colau a célébré sa victoire à Barcelone. Avec 11 élus, la liste Barcelona en Comú surpasse les indépendantistes de droite (CiU, 10 élus), jusqu’ici au pouvoir, et ceux de gauche (ERC, 5 élus). Sanctionnés pour leur refus de répondre aux préoccupations sociales, les nationalistes se voient infliger un revers auxquels ils ne s’attendaient pas il y a quelques mois à peine. De quoi placer la capitale catalane au centre du renouveau politique. Comme en 1936 ?
En fédérant une coalition de partis, comme IU et Podemos, et divers mouvements politiques et sociaux, Ada Colau a validé l’adage qui veut que l’union fasse la force. Symbole de la lutte contre les expulsions locatives liées aux crédits hypothécaires depuis 2009 (lire notre interview d’Ada Colau en avril 2014), Ada Colau s’est naturellement imposée à la tête de la protestation barcelonaise. Podemos a suivi. Et c’est grâce à cette mutualisation des forces que la gauche emporte l’élection.
Reste à attendre le bal des alliances, qui s’annoncent des plus indécis. Car l’addition des forces de droite ou celles de gauche, si tant est quelle s’avère possible, ne donnerait aucune majorité. Quoi qu’il en soit, ce sont bien les partisans d’Ada Colau qui faisaient la fête hier soir. La victoire psychologique est bien acquise.
À Madrid, la mésentente totale
Dans la capitale, la situation est encore plus serrée. Podemos se hisse à la deuxième place, avec 20 élus, juste derrière le PP et ses 21 conseillers municipaux. C’est donc le PSOE et ses 9 élus qui serviront d’arbitre pour atteindre la majorité de 29 sièges. Autant dire que, là aussi, l’élection est loin d’être bouclée. C’est une protégée de Pablo Iglesias, la juge Manuela Carmena, qui a mené la liste Ahora Madrid – laquelle réunie deux listes de Podemos (les pro-Iglesias et les « gauchos »), le parti Equo (écologiste) et d’anciens membres d’IU ayant quitté leur parti pendant la campagne.
Dans la capitale, IU a vraiment tendu la pelle pour se faire enterrer, refusant toute alliance avec Podemos et allant jusqu’à faire voter ses militants contre une éventuelle coopération. Du coup, IU, sans élu, est condamné à fusionner avec Podemos ou à disparaître du paysage politique madrilène.
En plus d’avoir perdu Madrid, Séville et Valence, trois de ses fiefs historiques, le PP perd des majorités un peu partout. C’est le cas en Aragon, où l’eurodéputé Pablo Echenique, rival de Pablo Iglesias, obtient 14 sièges, derrière le PP (22 élus) et le PSOE (18). Il en va de même pour la région de Madrid, où le PP tombe à 46 élus, suivi du PSOE (39 élus), de Podemos (28) et enfin de Ciudadanos (16). Certains diront que la gauche est victorieuse, oubliant ainsi la déroute d’IU. D’autres espèrent que Podemos acceptera la main tendue du PSOE…
Des lendemains incertains
Au lendemain de ces élections, aucun parti, dans aucune ville ou région majeure, n’est en mesure de gouverner seul. Et les alliances qui pouvaient sembler les plus probables – PP/Ciudadanos ou Podemos/IU/PSOE – sont devenus trop fragiles pour livrer un résultat d’ensemble.
Va-t-on alors se diriger vers ce qui serait le coup de grâce : une alliance entre le PP et le PSOE ? Les deux partis dits historiques pourront-ils renier leurs dernières onces de dignité dans le seul but de conserver le pouvoir ? Car, dans le cas contraire, l’Espagne entière se retrouverait bloquée, incapable de former des majorités et donc incapable de gouverner ses citoyens. On irait alors droit vers le scénario andalou et vers de nouvelles élections ? Le fiasco serait total, pour le « PPSOE ». Et pour Podemos, la promesse du changement serait acquise.