Le Guen, phare de la pensée

La lecture de La Gauche qui vient, du secrétaire d’État aux relations avec le Parlement, relève incontestablement de l’épreuve. Elle n’en est pas moins instructive sur l’évolution idéologique de certaines sphères dirigeantes du « socialisme » français.

(article paru dans regards)

Surnommé le ministre des tensions avec le Parlement, Jean-Marie Le Guen vient de commettre un opuscule, heureusement gratuit, intitulé La gauche qui vient. Fiche de lecture.

Jean-Marie et les inégalités

Comme son mentor de premier ministre, Jean-Marie Le Guen aime l’entreprise et s’agace des oripeaux qui obstruent une pensée moderne de la compétitivité et de l’épanouissement : « À gauche, une lecture caricaturale, issue de la vulgate marxiste, a trop longtemps rapporté l’entreprise à la seule dimension de l’exploitation de l’homme par l’homme, et en a fait la source de tous nos maux.(…) Mais nous devons définitivement rompre avec ces vieilles lunes de « lutte des classes » opposant radicalement les patrons et les travailleurs, dans lesquelles les Français ne se reconnaissent pas. »

Pour autant, soyons honnête, notre secrétaire d’État a su préserver toute sa rage contre les injustices de notre monde moderne. On saisira l’audace économique de Jean-Marie Leguen, à des fulgurances de la radicalité comme cette fine analyse : « Si certaines inégalités peuvent s’avérer justifiées, il est néanmoins manifeste que les hyper-inégalités ne sont pas une source de progrès pour tous (trickle-down economics), mais bien une source d’inquiétudes croissantes, notamment pour les classes moyennes des pays développés » (page 10). C’est vrai que la bataille pour un peu plus de justice sociale paraît floutée, que l’existence même des catégories populaires qui paient le prix fort de la crise semble improbable, mais tout cela, après tout, c’est le passé.

Jean-Marie humaniste

Digne représentant de son époque, le secrétaire d’État sait bien que la gauche archaïque n’était pas seulement marquée par son égalitarisme niaiseux mais aussi par une certaine conception de l’humanisme vis à vis de populations soumises aux ravages de la guerre. Conscient qu’il faut évoluer sur ce terrain aussi, face à la tragédie des migrants en Méditerranée, voilà que Jean-Marie Le Guen se veut défenseur d’un nouveau concept, l’accueil de loin : « Mais personne ne doit non plus négliger le fait que les capacités d’accueil des pays européens sont limitées et variables selon leurs situations économique, démographique et politique. La réponse la plus durable et la plus adaptée consiste donc bien à développer l’accueil dans les pays limitrophes. Ce qui suppose nécessairement une intensification notable de notre soutien humanitaire et économique à ces pays » (page 15).

Une remarque pour le moins indécente lorsque le gouvernement français s’est fort modestement engagé en novembre 2015 à accueillir 30.000 réfugiés en deux ans bien loin des 120.000 Vietnamiens de 1979 ou des 500.000 Espagnols entre 1936 et 1939. La réalité est encore bien pire. Selon un article de L’Obs, « Crise des migrants : la France attend toujours ses réfugiés », fin décembre, on totalisait l’arrivée de dix-neuf Somaliens en tout et pour tout. À ce rythme, le quota français devrait être atteint dans une petite centaine d’années. Il va de soi, par contre, que le Liban et ses 4,4 millions d’habitants n’a aucun problème à gérer l’afflux de 1,1 million de réfugiés syriens, ce qui n’a occasionné qu’une augmentation de 25% de la population.

Jean-Marie sait parler à sa gauche

Jean-Marie Le Guen aime, adore ceux qui sont à sa gauche, ce qui arrive assez vite en réalité. Dès le printemps 2014, il avait su trouver les mots pour qualifier ses camarades frondeurs : « Ces soi-disant socialistes » et autres « brebis galeuses ». En 2015, il avait eu un petit mot doux pour le PCF : « Les communistes ne fêteront pas leur centenaire ». Son opuscule de 2016 traduit un nouveau phénomène de radicalisation qui mériterait sans doute une fiche S. La gauche radicale (en gros à partir des frondeurs) se voit parée de ses plus beaux atours : « Mais une part de la gauche radicale se complaît également dans un tableau apocalyptique, misérabiliste de notre pays. Elle ne s’extrait pas non plus d’une vision complotiste de la situation, même si elle substitue comme coupable de tous nos maux le libéralisme au cosmopolitisme » (page 22).

Mais le meilleur était à venir et page 53 : « Enfin, ce séparatisme est porté par une part de la gauche de la gauche, qu’on pourrait être tenté de qualifier – de manière polémique – d’ »islamo-gauchisme ». Pour des raisons compassionnelles, en ne voyant les personnes d’origine arabo-musulmane que comme des victimes et des opprimés, cette gauche, bien incarnée par Clémentine Autain, est prête à céder totalement au différentialisme culturel ». Presque inquiet de ces propos apaisants, J.-M. Le Guen a cru utile d’ajouter dans la presse que la co-directrice de Regards est « prête à céder totalement au différentialisme culturel » en acceptant « de substituer des normes religieuses et communautaires à nos droits et nos règles républicaines ». On lira ici la tribune de Clémentine Autain parue dans Le Monde en réponse aux délires du ministre.

Jean-Marie 2017

Les pensées profondes et subtiles n’auraient pas de sens si elles ne se confrontaient pas à la dure réalité pratique, celle de l’élection présidentielle de 2017. Constatant l’éclatement et les difficultés des forces à gauche, J.-M. Le Guen sait en reconnaître les causes : « On pourrait presque croire que cet amour des divisions sans fin qui caractérisaient les groupuscules trotskistes et maoïstes a contaminé la gauche tout entière ». Lui n’est pas un archéo-débile, il sait bien que la politique gouvernementale ne saurait être la cause d’un quelconque problème.

Pourtant, face au danger du Front national, le rassemblement de toute la gauche derrière une candidature raisonnable ne lui paraît pas suffisante :« Face à cette menace, la droite comme la gauche continuent à se considérer et à se traiter comme irréductibles l’une à l’autre, alors même que chacun des camps sait qu’il devra compter sur le soutien de l’autre pour l’emporter au deuxième tour. Il y a dans cette hystérisation, cette « essentialisation » du clivage droite-gauche conforme aux habitudes récentes de notre théâtre politique une bonne dose d’hypocrisie et un certain degré d’irresponsabilité. Car, si la campagne de 2017 se déroule dans un climat d’affirmation agressive du clivage gauche-droite, il sera très difficile pour le candidat qualifié de surmonter l’aigreur, l’amertume des électeurs de l’autre camp » (Page 73).

Jean-Marie stratège

Rassembler la gauche ou dépasser le clivage gauche-droite, le problème semble insoluble. Heureusement, dans un renversement dialectique lumineux, notre phare de la pensée a la solution : « Mais je ne me résigne pas à cette division mortifère de la gauche. J’en appelle donc à un double dépassement simultané : celui du clivage droite-gauche dans le camp républicain, et celui des deux gauches dans une gauche rassemblée » (page 85). Unifier la gauche pour s’allier avec la droite, voilà la subtilité, le Front national promu seul opposant s’en frotte les mains d’avance. Car c’est bien d’un accord sur le fond qu’il s’agit, notre fin stratège a déjà pensé au programme commun des législatives : « Là encore, c’est donc bien l’hypothèse d’un front républicain qui se dessine. Dans les travaux parlementaires, il pourrait prendre la forme d’un compromis sur le socle programmatique des textes ayant vocation à être adoptés par la majorité républicaine des deux chambres. Mais, dès l’amont, il pourrait s’esquisser dans l’entre-deux-tours des législatives, puisque des désistements pour soutenir les candidats républicains les mieux placés seront forcément envisagés ».

On savait Jean-Marie Le Guen hargneux, on le connaissait approximatif sur sa gestion de la MNEF, sur ses déclarations de patrimoine, le voilà au moins limpide sur un projet de destruction de tout ce qui à fait la gauche dans ce pays depuis la Révolution française. Au delà des phrases creuses et prétentieuses, au-delà des perles fort nombreuses qui parsèment le livre, ce n’est pas de « Hé Oh la gauche », mais bien de « Au revoir la gauche » qu’il s’agit. Raison de plus pour dire adieu à Jean-Marie Le Guen, et à tous ses amis, dès 2017.

La gauche qui vient de Jean-Marie Le Guen, fondation Jean Jaurès, zéro euro.

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