La loi travail enflamme désormais les raffineries : les menaces et les assauts policiers n’ont fait que renforcer l’engagement des syndicalistes et des salariés, prêts à expliquer au gouvernement l’essence de la grève. Paroles de bloqueurs.
Huit sur huit. L’évacuation de la raffinerie de Fos-sur-Mer aura été un facteur déterminant pour que les deux dernières raffineries françaises toujours en fonctionnement prennent à leur tour le chemin de la grève. Si le gouvernement s’essaye à la méthode Coué, répétant qu’il n’y aura pas de pénurie de carburant en France, le constat est là : les salariés des secteurs de la pétrochimie entendent bien accentuer la pression sur le gouvernement et semblent prêts à durcir le ton jusqu’à l’abrogation de la loi travail.
Débordements policiers à Fos-sur-Mer
Mardi matin à 8h30, le gouvernement peut annoncer le déblocage des dépôts de carburants de la raffinerie de Fos-sur-Mer, dont les accès étaient restés fermés depuis deux jours. La route menant à l’usine est transformée en place-forte par les gendarmes mobiles afin de dissuader quiconque de revenir. À 4h30, l’intervention de ces derniers a été extrêmement brutale, témoigne un élu de la ville de Martigues, Frédéric Grimaud : « Ils ont fait usage de canons à eau ». Et, sur place, les militants ont été visés par des tirs de flashball. Pourtant, selon plusieurs sources, il y a eu « peu de résistances » devant la raffinerie, et les syndicalistes et soutiens présents ont vite été délogés.
L’inimaginable, c’est ce qui s’est déroulé par la suite. Alors que l’opération de police a réussi à déloger les personnes présentes sur le blocage, les forces de l’ordre suivent le cortège d’environ deux cents personnes jusqu’à l’union locale CGT de la ville, celle-ci étant pourtant situé à trois kilomètres environ de la raffinerie. La police chargera sans sommation, obligeant certains syndicalistes à se réfugier à l’intérieur du local ; elle finira par tirer des grenades lacrymogènes en direction du bâtiment.
Il faudra attendre l’intervention des leaders syndicaux sur les ondes pour que la situation se débloque au petit matin, et que les personnes en état de siège puissent enfin sortir. L’élu, membre du mouvement Ensemble, fait part de sa stupeur :
« Je n’aurais cru que, sous un gouvernement PS, on puisse attaquer une union syndicale CGT ».
Détermination et exemplarité
À Grandpuits, la grève a été votée par 60% du personnel pour 72 heures :« On s’est rendu compte que le gouvernement n’était pas prêt à céder, ils n’annuleront pas la loi ». Désormais, plus question d’écouter le gouvernement. Sur le site francilien, la moitié des installations était déjà à l’arrêt pour révision, témoigne le secrétaire syndical de la CGT locale, Patrick Bernadot. Et pourtant, il l’assure :
« Les salariés de la raffinerie ne voulaient pas l’arrêt total. Mais le gouvernement ne nous laisse pas le choix ».
La grève, les salariés du site la veulent exemplaire, préférant ne pas recevoir trop d’éléments extérieurs. Une façon, pour eux, de s’inscrire dans la durée, de montrer qu’ils sont capables d’aller jusqu’au bout sans soutien. C’est aussi le moyen de se démarquer de la grève de 2010, durant laquelle ils avaient reçu un soutien financier conséquent. Ils affichent une franche détermination, ainsi que le formule un responsable syndical :
« Les salariés sont aujourd’hui prêts à perdre de l’argent dans cette grève ».
49.3, le feu aux poudres
Depuis 2010, date de la dernière grande mobilisation sur les raffineries (la totalité d’entre elles – c’est-à-dire douze à l’époque – était en grève), le secteur avait du mal à se mobiliser. Éric Sellini, coordinateur de la CGT pour le groupe Total, résume le sentiment général :
« Les lois Macron, Rebsamen et maintenant El Khomri, c’est trop. On a bien compris que le gouvernement souhaite se débarrasser du code du travail ».
Il a fallu expliquer ce qui se tramait, les risques pour les salariés des raffineries : l’inversion de la hiérarchie des normes, la menace des licenciements en cas de pertes économiques de l’entreprise, la possibilité de suppression des jours de congés, les heures de nuit qui cessent d’être considérées comme pénibles. Le responsable syndical voit bien que les choses ont changé cette année : la grève s’est votée très naturellement, comme « symptomatique » de la période.
Il y a aussi cette conscience forte, chez les salariés de la pétrochimie, de jouer un rôle déterminant dans la lutte. Si certains trouvent qu’ils ont tardé à rentrer en grève, ils se voient, eux, comme un facteur sans doute décisif. Pour beaucoup d’entre eux, c’est l’utilisation du 49.3 qui a mis le feu aux poudres. Un syndicaliste de Fos-sur-Mer en témoigne, en affirmant que « même Nicolas Sarkozy n’avait pas fait ça ». Et comme pour se défendre de toutes les attaques d’un gouvernement qui, de concert, renvoie dos à dos « casseurs » et « grévistes », un de ses collègues confie :
« Nous ne sommes pas là pour bloquer la France, nous voulons juste montrer qu’on a le droit de faire grève ».
Les menaces de Valls : « Du vent »
« Ces actions ne servent à rien, perturbent le pays et font peser une nouvelle charge insupportable aux forces de l’ordre », clame Manuel Valls. Ce qui fait craindre la réquisition des personnels grévistes par les préfectures. C’est en effet la méthode qui avait été utilisée en 2010, au moment du mouvement de grève contre la réforme des retraites. Nicolas Sarkozy avait alors activé le Cogic (Centre opérationnel de gestion interministérielle des crises), et ordonné la remise en marche de force des raffineries bloquées.
Un tel scénario, aujourd’hui, les grévistes n’osent pas y croire : les déblocages par la force de ces derniers jours n’ayant fait qu’accroître leur détermination, l’ukase ministérielle serait perçu comme l’ultime provocation. De toute façon, cette réquisition serait « impossible », selon des salariés de Grandpuits. « Le préfet peut ordonner la réouverture et le retour au travail, c’est du vent, il faudra des cadres pour nous montrer comment faire. On peut toujours se tromper de vanne ! » Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, prévient de son côté :
« Il est illégal de débloquer les raffineries. M. Sarkozy a essayé en 2010. Il a été condamné par l’OIT pour non-respect du droit de grève ».
À Fos-sur-Mer, la raffinerie fonctionnait jusqu’à aujourd’hui au ralenti, elle est maintenant en grève totale. À Grandpuits, on assure que si le vote de la grève avait été mené après l’évacuation de Fos, on aurait compté 10%, de grévistes de plus. Le gouvernement fait la sourde oreille, Manuel Valls dit « ça suffit », mais mardi soir, huit raffineries sur huit étaient en grève. Ni les menaces du gouvernement, ni celles de Total ne semblent pouvoir les arrêter.