Éditorial Automne 2016 / alp’ternatives n°22
En guise d’éditorial pour ce numéro 22 d’alp’ternatives le rapport moral proposé
à l’Assemblée Générale d’Ensemble/PACG 05 du 24 sept 20016
L’année qui vient de s’écouler aura été autant chargée d’enthousiasmes que de craintes pour notre avenir. Notre mouvement, Ensemble, a traversé cette période comme chacun d’entre nous : avec la volonté de tenir debout et de continuer quoi qu’il en coûte à tenter d’inventer un autre monde.
Nous avons consacré notre automne à construire une démarche unitaire sur notre département autour de la Région Coopérative. Dans toute la France, ces élections ont révélé la poussée de l’extrême droite et l’effondrement historique de la gauche. Dans les Hautes-Alpes, l’unité rouge et verte a, semble-t-il, limité la casse avec un résultat autour de 10 %.
La réforme du code du travail, dite loi El Khomri, voulu par le gouvernement Valls et par le président Hollande est une volonté manifeste de détruire les dernières protections pour les salariés. La mobilisation de la jeunesse, des youtubeurs, suivi ensuite par un mouvement social de grande ampleur et l’inclassable mouvement “Nuit Debout” ont marqué le retour des idées d’émancipations sur le devant de la scène publique. Pendant plusieurs semaines les médias du courant dominant n’ont pu imposer leur ordre du jour habituel.
La réaction du gouvernement et de la majorité socialiste à l’Assemblée Nationale a été une absence complète de volonté de dialogue et la criminalisation du mouvement social. On peut s’affliger des nouvelles méthodes de gestion des manifestations dans les rues de notre pays, avec notamment technique de nassage rarement utilisé dans les 50 dernières années. Le passage en force par le 49.3, l’incapacité des frondeurs à déposer une motion de censures, les condamnations de militants viennent achever une séquence où la parole s’est libérée, où la jeunesse et les salariés se sont mobilisés…pour se confronter à la difficile réalité d’une 5ème république, dominée par la force ultra-libérale et sécuritaire, à bout de souffle. Constat amer.
Le terrible attentat du 14 juillet à Nice et le drame à St Étienne du Rouvray ont marqué le retour sur le devant de la scène d’actes de terrorisme d’un nouveau genre qui tue sans distinction, hommes, femmes, enfants… Daech est un mouvement de type fasciste, né sur les ruines de pays dévastés par la pauvreté et par la guerre. Il se nourrit ici de toutes les frustrations, tous les désirs de “radicalité” et devient un exutoire morbide pour des individus sans foi ni loi. L’un des éléments, que les tohu-bohu médiatiques occultent, est le fait que presque tous les terroristes ont tous une relation plus que distante avec les coutumes de l’islam.
L’été qui a suivi aura ouvert la boîte de pandore des délires racistes et islamophobes. La droite n’a pas hésité à gagner la surenchère avec le Front National. Les interdictions de Burkini sur les plages de la côtes d’Azur, et le débat qu’elles ont provoqué, ont ouvert la voie à toutes les simplifications. Le premier ministre soutenant même ces arrêtés alors que la loi les a finalement déclarés illégaux. Il a fallu attendre le New York Times pour lire des articles sur la profondeur et la complexité de cette situation. Nous le disons sans retenue les musulmans ne sont pas responsables des attentats. L’interdiction du Burkini, et toute mesure discriminatoire, ne feront pas reculer les terroristes mais auront pour conséquence directe de continuer à diviser et communautariser notre société. Dans cette fuite en avant, ce sont bien les 2 fascismes, Daech et l’extrême droite, qui sortent vainqueurs. De plus, comment penser une seconde que l’on pourrait “libérer” les femmes par des interdictions d’espaces publics ? Pour se construire, notre pays a une tradition républicaine : le métissage et le respect de la liberté de croire, ou pas.
2 informations estivales sont pourtant passées à la trappe médiatique :
– Cette année le 8 août aura été le jour du dépassement global. En moins de huit mois, l’humanité a consommé la totalité du budget écologique annuel de la Terre (en 71 cette date avait lieu le 24 décembre…). Cette information ne semble pas alerter nos journalistes et nos irresponsables politiques. Ils ont plus urgent en août que de parler du désastre écologique en cours : il est sans doute plus vendeur de diviser les français et de préparer les primaires…
– A la mi-août, un rapport d’Henderson Global Investors sur les dividendes versés dans le monde au 2ème trimestre par les 1200 plus grosses entreprises nous apprenaient que c’était en Europe que les actionnaires s’étaient le plus enrichis et singulièrement en France avec 11,2 % d’augmentation pour 4,1 en moyenne en Europe. Dans le monde entier seule les Pays-Bas et la Corée du Sud font mieux mais pour des volumes financiers bien inférieurs… Apparemment pas besoin de la loi travail pour relancer les bénéfices…
Si j’ai relaté ces 2 informations, c’est pour bien marquer le fossé entre la gravité de la situation et la légèreté de nos “élus” pour faire face à cette situation. J’aurai pu aussi parler des migrants et de la nausée qui nous prend en constatant les actes terribles de notre préfet des Hautes-Alpes ou d’une droite plus à droite que jamais qui est incapable de dissocier campagne électorale et simple devoir d’hospitalité sur nos territoires.
Avant de venir à la situation politique du moment qui prépare les échéances électorales de l’an prochain, je souhaiterai revenir en quelques mots sur les fondamentaux de notre mouvement.
Ensemble, et singulièrement notre association PACG, sont nés d’un désir d’unité, d’une soif de renouveau et d’implication citoyenne. Nous sommes nés aussi d’une volonté de construire ensemble une visée et une cohérence politique qui nous semblait bien absente à gauche. En tirant les nombreux enseignement de l’Histoire, nous pourrions résumer cette visée en un mot : émancipation.
Emancipation de toutes les formes de dominations : patriarcales, patronales, sociales et culturelles, émancipation par le partage des richesses, émancipation par le partage des savoirs et des pouvoirs. Nous ne pensons pas que la société puisse se transformer par une simple victoire électorale si elle n’est pas portée par un peuple informé et en mouvement. Nous ne pensons pas non plus que la transformation globale de notre monde pourrait sortir d’une simple addition d’alternatives locales si elles ne sont pas reliées entre elles et si elles n’affrontent pas collectivement les questions globales que nous pose cette mondialité à construire.
Ensemble souhaite inventer dès à présent des espaces de partage, d’écoute, des lieux de citoyenneté où chacun compte pour un dans le respect des histoires personnelles. Nous souhaitons remplacer les logiques de compétitions dans nos entreprises, dans nos vie et dans la planète par le partage librement consenti, par la réinvention d’espace de gratuité et de coopération.
Cette visée émancipatrice est notre lanterne dans ce moment obscur et toutes nos décisions sont éclairées par elle. Si nous faisons le choix de faire vivre un petit journal, d’associer les citoyens aux débats qui les concernent, de faire exister les fabriques à idées, et d’être présents lors de temps électoraux…c’est toujours à la lumière de cette visée.
Une dernière chose, concernant nos fondations, pour nous la forme c’est fond qui remonte à la surface. Dans notre association, chacun parle librement et personne ne parle pour les autres. Si nous avons décidé d’avoir des porte-paroles c’est pour faire connaître notre démarche vers l’extérieur et parfois discuter avec des partenaires. Mais, comme nos élus, ils ne parlent pas à titre individuel mais dans le respect des décisions collectives.
Vous le comprenez à présent, il est complexe pour nous de nous engager dans la confusion du moment et de garder notre visée en point de mire. Mais cette dialectique est aussi celle de la plus-part des citoyen-ne-s écœuré-e-s par les jeux politiciens et par cette impression que la voie est sans issue. Il faut pourtant faire vivre cette dialectique en ayant au coeur l’urgence du moment qui est le risque de donner la gestion de notre pays à une droite extrême ou à une extrême-droite.
La situation politique en septembre 2016 semble se clarifier peu à peu. Les élections présidentielles préparent la personnification à outrance des enjeux de pouvoirs. Le FN est plus menaçant que jamais. Marine Le Pen prépare une campagne présentable et déclare déjà qu’elle sera présente au second tour. La droite prépare une primaire à haut risque où la plus-part des candidats glisse inexorablement vers des discours d’une violence incroyable sur les fonctionnaires, les aides sociales ou les migrants. Imaginer une seconde le retour de cette droite revancharde s’apparente rapidement au cauchemar.
Le PS et le PRG préparent une primaire social-libérale où l’aile gauche du PS semble pour l’instant divisée. La dernière primaire socialiste a mobilisé près de 3 millions de français en 2011. Le débat médiatique va être focalisé par cette mascarade démocratique où des positions opposées sur de nombreux points devront se rassembler sur une seule candidature à la fin. Cette primaire tente de faire le débat du premier tour sans le cadre démocratique et ainsi isoler toute alternative de rassemblement.
A la gauche de la gauche les choses ne sont pas plus simples. Les traditionnels candidats d’extrême gauche seront présents (Poutou et Artaud). Le PCF n’a pas pris de décisions. Il souhaiterai voir émerger une candidature de large rassemblement capable d’aller au second tour mais les frondeurs n’ont pas quitté le navire. EELV après une crise sans précédent a décidé d’affirmer un courant écologiste par des candidat à la présidentielle (et via une primaire) et aux législatives. JLM a décidé, en analysant un immobilisme du Front de Gauche, de présenter seul sa candidature en dehors de toute logique unitaire. Sa volonté manifeste de ne pas rassembler les organisations existantes a pour l’instant freiné tout rassemblement sur sa candidature. Le caractère “ingérable” de ce mode de fonctionnement est un motif pour nombreux d’entre nous de ne pas intégrer la campagne “France Insoumise”. Notre jeune mouvement doit pourtant traverser cette situation et continuer à agir politiquement dans le cadre d’une 5ème république que nous dénonçons par ailleurs et nous allons prendre le temps d’en discuter.
L’échelle locale semble en tout cas permettre des inventions et des modes d’organisations plus proche de notre visée et qui puisse donner une place à chacun mais nous ne perdons pas de vue que nous faisons partie d’un tout.
Je fais le vœu, en tout cas, que notre mouvement et sa convivialité perdure par delà les urgences du moment et notre riche diversité.
Laurent Eyraud-Chaume.