Le beau temps étant revenu et notre capacité d’organisation en période festivalière atteignant peu à peu la perfection : nous revoici parti pour Gap et son festival des arts de la rue. Aujourd’hui c’est dimanche, on trouve une place de parking et l’on se dit que peut-être il y aura moins de monde aux représentations : raté.
Argent, pudeur et décadence.
La place aux herbes est pleine comme un œuf et l’on bénit la cathédrale de nous apporter de l’ombre. Les 2 comédiennes de la cie Aiaa place rapidement le décor : attention spectacle décalé et radical. L’objectif affiché de faire tomber les tabous sur l’argent est amplement atteint. Elle passe d’un personnage à l’autre sans jamais oublier une relation au public ludique et pleine de connivences. Ici on explique comment on crée de l’argent, là on dévoile comment on structure le profit autour des paradis fiscaux. On torture une banquière avec de vieux tubes de Patrick Sébastien. On accouche de billets. Les jeux de mots et les comiques d
e situations s’enchaînent. C’est à la fois Feydeau, de la commedia dell’arte et un peu le Prévert du Groupe Octobre. L’objectif est didactique mais pas d’un didactisme binaire (qui expliquerait le bien et le mal), elles expérimentent un didactisme du choc et de la révélation.
Petit à petit, chacun rit et se voit pris à parti : quels sont nos rêves? Sommes-nous réellement conscients que nous nourrissons le mécanisme qui crée notre pauvreté? Le public est emballé et remercie debout les 2 actrices. On aurait peut-être rêvé d’issues optimistes mais le théâtre ressemble à la société qui l’enfante et à son actuel désenchantement. On aura pu rire de ça aussi…
Hang Massive
Changement de décor, nous arrivons à Charance. Après une petite marche à pied nous rejoignons le château et ses terrasses. Nous allons vivre une expérience nouvelle et apparemment ce doit être le cas pour beaucoup de monde. Plusieurs centaines de personnes assistent à un concert de Hang (percussion de forme lenticulaire et creuse). Le duo de percussionnistes anglais, Hang Massive, est apparemment reconnu dans sa discipline. D’abord surprenant, au bout de quelques minutes on sait ressentir la précision, la finesse du duo qui tourne parfois à la symbiose. Quelques minutes plus tard, on se laisse transporter par la musique, notre esprit divague, on se raconte des histoires… Je n’ai absolument aucun élément de comparaison et la seule chose qui me vient à l’esprit c’est la joie infantile de la découverte et du temps pris pour celle-ci.
Silva
Pour clore ce festival de rue, nous marchons dans la forêt. Le silence se fait, en quête d’une écoute nouvelle. Une ou deux apparitions plus tard, le public est aux aguets et capte finalement les bruits et les formes de la forêt comme les partitions d’une création artistique. Nous commençons un cheminement étonnant. Ce “curieux de nature” semble créé sur mesure pour ce lieu et ce moment-là. On assiste à un duo hors norme, il est autant grand qu’elle est petite, il est fort et elle semble fragile. Pourtant, rien n’est vraiment civilisé dans cette rencontre : est-ce un animal à deux têtes, un couple grégaire ou un ballet pour faunes et elfes des bois ? C’est violent et délicat. Chaque pas de deux semble naturel et facile. On se porte, on se rudoie, on se cherche, on se percute… C’est la danse d’une vie ancestrale où pour vivre il faut être 2 mais où la différence éloigne.
Nous voici reparti sur le chemin de cette randonnée hors du monde. La nuit tombe, des lumières s’éclairent… on se retrouve au bord d’un ruisseau, autour d’une branche pendue à un arbre. Nous assistons à un solo simplement éblouissant. La délicatesse et la précision du mouvement, la beauté de ce moment au cœur de la nuit et de cette danseuse hors norme, doivent être sans doute l’une des définitions du mot « poésie »…
Tous dehors, c’est fini pour cette année. Nous rentrons chez nous des images plein la tête : des aventures aquatiques, des délices drolatiques, des fièvres poétiques, des files d’attentes mirifiques…
Nous gardons la joie du décalage entre l’art et le réel : ce vigile derrière la scène de Block, ses jeunes, packs de bières en mains, observant le(s) derrière(s) de Plouf et replouf, le bruit du jet d’eau durant le concert de hang, la pluie qui remet tout le monde à sa place, et cet enfant qui demande durant Silva : “Elle fait quoi la dame ?”.
Elle fait presque rien, rien de vraiment utile à ce monde devenu fou, elle tient une bougie allumée dans un monde obscur…
LEC
ps : Nous sentons bien aussi les limites de croissance qu’atteint ce festival. Il faudra plus de moyens et d’êtres humains en action pour le faire croître avec délicatesse. Nous sommes un peu surpris de voir les personnels de la mairie mobilisés des jours entiers durant le Tour de France ou le Monte Carlo… ici, leur absence face au flux d’un public populaire et joyeux fut assez “visible”. Voir des régisseurs du théâtre s’occuper de placer des voitures est l’une des surprises de notre weekend. Monsieur Didier a sans doute conscience de cette réalité et apportera les moyens nécessaires au théâtre pour accompagner ce succès … non ?
le jour 1 est là et le 2 ici !
J’ai encore une fois raté Charance cette année ! Je vais militer pour que la navette soit en service l’année prochaine. Mais que fait la Mairie ? 🙂