Ibrahim, Idriss, Abou, sont nos reflets dans le miroir d’eau de moins en moins clair de notre societé commune. Ils nous obligent à nous y mirer et nous voir à quel point nous sommes ce que nous sommes et pas ce que nous aimons nous raconter de nous-mêmes. De guenilles et de semelles incertaines, la pauvreté du monde marche sur les routes que nous empruntons chaque jour sans plus nous rendre compte de l’effort surhumain qu’il a fallut pour les imaginer, les tracer, les construire. De tous ceux qui y ont mit leur peine, leur sang, aucun n’est encore vivant. Aucun de ces « poètes » illuminés, parfois enragés, quelques fois inspirés, et qui ont gravé que le liberté n’allait ni sans l’égalité ni sans le désir profond de fraternité ne sont là aux côté d’Ibrahim, d’Idris et d’Abou. « Eux c’est nous » disait la banderole qui accompagnait la Marche des migrants de Briançon à Gap et au fond, c’est elle qui disait le mieux. « Eux c’est nous » sur ces routes qui ne valent que si elles relient d’autres routes, d’autres chemins et s’il faut en imaginer, en tracer, en construire d’autres, cette tâche nous incombe ici et maintenant.
Nous ne venons pas de nulle part mais c’est là que nous irons si nous nous contentons d’être de simples usagers d’un héritage qui n’en finit pas d’être dilapidé par la « raison d’état », la xénophobie, la haine de l’autre comme un miroir aussi qui nous reflète tel que nous sommes. Il est bien entendu que des gens viennent de loin pour échapper à la guerre, la misère, pour lesquelles nous avons aussi quelque chose à y voir, afin de profiter de nos routes, prendre nos filles, transformer nos églises, nos traditions, en mosquées comme hier en synagogues. Et pourquoi penserions-nous autrement ? Combien de nos aïeux dont certains ont même des statues à leur gloire, leur nom sur nos avenues, nos boulevards, ne l’ont-ils pas fait en d’autres temps sur d’autres terres que « la leur » ? Et pourtant ?… En dehors de quelques « culs merdeux dans leur culotte de soie » grassement posés dans les palais marbrés et gavés de dîners d’un autre siècle, qui parmi nous a dans l’idée, le projet, de s’enrichir sur la misère du monde ?
Toi le brave paysan qui laboure, sème et récolte en te fichant bien de la couleur, de la religion, de la condition, de celui qui se nourrira de ton honnête labeur ?
Toi le boulanger qui pétrie, façonne, cuit le pain q’un seul regard, satisfait de celui qui le mange fait de toi l’homme le plus heureux du monde?
Toi l’ouvrier, l’artisan, aux mains d’or qui forgent, réparent, inventent, bâtissent, pour chacun et qui ne te résoud pas de voir même un seul pauvre hère manquer de tout ça ?
Toi le soignant, le sauveteur, l’enseignant, le flic, l’éducateur ?
Toi mon voisin, mon ami, mon copain de pétanque ou de vélo ?
Non, bien sûr.
Idriss, Abou, Ibrahim, veulent seulement être le soignant, le sauveteur, le flic, l’éducateur, le copain de vélo, de pétanque, l’ami, le voisin, l’artisan, l’ouvrier, le boulanger… Et comme toi vivre pour aimer, rire, rêver. Comme toi ils se jetteront à l’eau si ils voient quelqu’un s’y noyer. Il n’y a pas mille et mille façons de construire des murs ou des ponts. Des routes qui en relient d’autres…
Le Prefet, Philippe Court, a finalement daigné prendre 2 heures et demi de son temps si ce n’est précieux, en tout cas, très cher, pour recevoir une petite délégation d’associations (Tous Migrants en particuliers) et des personnes dites « dublinées »… Il y avait les classes, les catégories, il y a aussi les « certifiés » humains légaux. Le représentant de l’état a bien écouté, peu entendu finalement, puisque rien ne change vraiment dans ses non-décisions. Même s’il s’est engagé à ne pas poursuivre les personnes qui aident les « migrants », le bilan est maigre… Très maigre.
Les deux députés des hautes-Alpes de la majorité gouvernementale ont apporté leur soutien au mouvement. Ca ne mange pas de pain, Joel Giraud étant un habitué du double discours selon l’endroit où il se trouve, quant à Pascale Boyer… On attend de voir. Qui sait ? … .
Le campement en face du conseil départemental qui attendait l’entretien avec le Préfet au bout de la longue marche de Briançon à Gap est levé depuis ce matin. Ceux qui ont résisté ne s’attendaient à aucun miracle et sont prêts pour les luttes prochaines qui ne devraient que s’intensifier au regard de la psychorigidité des autorités et, à l’instar de l’aveuglement des nations à une autre époque, s’enfoncent dans l’illusion pour mieux rejeter la responsabilité sur le voisin.
La Marche qui faisait suite à plusieurs grèves de la faim n’est qu’un prologue dont la suite de l’histoire déterminera bien plus qu’une simple solution administrative. A l’origine des grandes catastrophes humaines, la question des migrants a toujours précedé les événements tragiques… Mais rien n’empêche, encore aujourd’hui, de faire mentir le déterminisme historique dû à l’indigence morale des puissants. Vous l’avez compris : Cette belle marche de Fraternité n’est pas une affaire locale. C’est une affaire mondiale, une question qui touche au cœur de l’Humanité.
Leo Artaud
TERRE D’ASILE
J’ai rangé mes plus beaux rêves
au fond d’une vieille valise
la vie est trop brève
pour peu qu’on s’y enlise.
Au pied du mur d’enceinte
surmonté de barbelés
j’ai chanté ma plus belle plainte
au prix fort de ma dignité…
(refrain)
Y aurait-il chez vous
quelque chose de pas cher
de quoi vivre debout
sans chaînes, sans trop d’hiver…
Un belle démocratie
entourée de Lumières
où on peut faire sa vie
sans affamer son frère…
Y aurait-il chez toi
un petit coin tranquille
comme un hymne à la joie
sur une bonne terre d’asile.
Sur les murs de ma ville
j’ai vu les belles affiches
Oh comme la vie est facile
dans les grands pays riches!
j’ai lu
Liberté Egalité Fraternité
au juste à quoi ça ressemble?
J’m’en fous
ce sont des idées
qui vont très bien ensemble!
REFRAIN
J’n’avais pas vu, oh pitié!
pardonne moi citoyen
qu’il fallait des papiers
certifiés « être humain »!!
Mais je travaillerai dur!
j’apprendrai tes leçons!
Je ferai bonne figure!
partout… J’écrirai ton nom!
REFRAIN
textes et photos de Leo Artaud
Merci Léo pour couvrir tout cela, partager, diffuser, expliquer, c’est une action fondamentale.
Etienne