Leo Artaud était au coeur de la manifestation en vidéo. Il fait ici un retour politique et social sur cette forte mobilisation de rentrée.
4 mois après l’élection présidentielle, « l’état de grâce » jupitérien semble tourner court et c’est plutôt un coup de grâce à l’état par ordonnance que le mouvement social semble annoncer. Dans un contexte inédit si proche d’une élection et malgré la division syndicale, le 12 septembre 2017 a rassemblé plus de manifestants que lors des premiers rassemblements contre le CPE. En dévissage complet dans l’opinion, Emmanuel Macron et sa majorité ne parviennent pas à franchir le seuil minimal de crédibilité. Le triste spectacle parlementaire de cet été a laissé la place à une posture d’invectives et de provocations verbales de la part du Président là aussi inédite. Il n’est certes pas le premier à tenter de diviser pour régner, mais il s’en donne à cœur joie et pourrait bien, à ce rythme, réussir à rassembler contre lui pour mettre fin à son régne plus vite que prévu. Une bonne gauche et une mauvaise droite en reconstruction pourraient bien lui siphonner les quelques opportunistes qui ont fait sa majorité parlementaire, avec une minorité d’électeurs, et on entend déjà les premiers râles dans les coursives de l’assemblée et dans leurs permanences.
Cette « réforme » n’est pas faite pour créer de l’embauche
Il y a, sans aucun doute, dans les 5 premières ordonnances de la nouvelle « loi travail » un aveu de résignation de la part du gouvernement. Faute de vouloir créer les conditions d’une relance dynamique de l’économie, et d’une stabilisation politique de cet environnement, ce dernier ne propose qu’une série de mesures défensives visant à réduire l’impact de l’austérité sur les entreprises. En commençant par le droit du licenciement fluidifiant non pas l’emploi mais le non-emploi, le gouvernement laisse à penser que la souffrance des salariés est secondaire et qu’elle sera traitée plus tard mais sans ligne claire annoncée. Lorsqu’on fait la moitié du boulot on ne fait pas le boulot et il y a fort à parier que les employeurs ne bougeront qu’une fois la loi achevée même si certains vont profiter du flou de l’aubaine pour dégraisser avant le second volet. Le MEDEF l’assure et la CPME aussi : Cette « réforme » n’est pas faite pour créer de l’embauche. Les syndicats salariés le disent aussi, mais c’est désormais bien connu : ils ne sont que cynisme, fainéantise et extrémisme.
Pourquoi faire dans l’urgence une loi qui n’y répond pas ?
On peine d’imaginer que l’ancien ministre de l’économie de François Hollande, devenu président n’a pas une stratégie bien pensée et ne se risque pas à un bras de fer social sans raison. Il ne fait, en réalité, qu’achever la déstructuration du modèle social commencée, ou plutôt assumée, par Nicolas Sarkozy, visant a transformer le chômage de masse structurel en marché de l’emploi précaire finalement assez juteux. Le travailleur est aussi une marchandise soumise à la loi du marché et ce « satané » droit juridique à la française s’obstine à le vouloir humain d’abord. Voilà l’enjeu : Mettre sur l’étal le fromage, le pq, la culture et l’humain au même niveau d’échange économique. Il était déjà une variable d’ajustement, demain, grâce à cette loi il sera bel et bien un produit comme un autre, calibré et négocié directement, avec le moins d’intermédiaires possibles, pour qu’il réponde aux besoins, à la satisfaction du marché. Vous pensez que c’est déjà le cas ? Ce n’est pas juste un sentiment, c’est la conséquence au fur et à mesure des différentes lois de ces dernières années présentées comme des « réformes » alors qu’elles ne sont que des déstructurations. La réduction du temps de travail n’est plus garantie socialement pour l’individu mais s’échange non pas au bon vouloir du patron mais à la contrainte que lui impose le marché et moins il est gros et plus il y sera soumis. En bout de course on retrouve ce qu’on appelle pudiquement « l’auto-entrepreneur » qui, autrefois, s’appelait « Tâcheron », et on le voit avec l’affaire Deliveroo, où les heures de travail se négocient 40% sous le salaire horaire du SMIC.
Un modèle Anglo-Saxon ? Pas vraiment…
Le libéralisme français est particulier. Il a beau poussé des petits cris hystériques à la tribune, sautiller en agitant bras et épaules comme s’il était musclé, il n’en reste pas moins un cul merdeux dans une culotte de soie. Il se pare de modernité par l’image, le langage, mais reste propriétaire des moyens de production dont il considère qu’il a un droit historique et hiérarchique inaliénable. Il serre la ceinture du pauvre mais assure au riche qu’il gardera son confort grand luxe parce que hein ! La propriété privée est sacrée quand même… Et comme le pauvre ne peut pas suivre la spéculation d’autant plus qu’il a un emploi précaire, l’état doit compenser avec un niveau d’aide sociale très élevé. L’aide sociale est d’abord un assistanat du riche sans laquelle son bien resterait vide tant le pauvre ne peut y accéder. Le libéralisme français s’arrête là où commence la propriété privée. Cette partie de la classe moyenne qui a sottement votée Macron ne paye pas d’impôts pour les pauvres mais pour pallier la perte, le manque à gagner généré par l’économie de marché qui fragilise de plus en plus, au fur et à mesure des « réformes », le locataire, le consommateur, le citoyen. Cette classe moyenne, cet entre-deux cher au think-thank socialiste libéral « Terra nova » pas encore « déclassée » mais pas loin dans la fourchette basse, pourrait sans un contre-pouvoir populaire avoir réussi un coup d’état social par les urnes.
Un mobilisation comme une main tendue
La mobilisation qui naît, plus qu’une simple contestation, est une vraie main tendue à ce gouvernement pour qu’il sorte de sa posture de divisions et de provocations et instaure un véritable dialogue démocratique et pas seulement sur la « Loi travail ». De par les conditions de son élection, cette minorité majoritaire qui tient les rênes ne peut pas se replier sur elle-même sans risquer une explosion sociale aux issues incertaines. A Gap, dans le long cortège de la manifestation il n’y avait pas de haine, pas d’extrême, pas de cynisme et encore moins de fainéants. Il y avait des fonctionnaires, des intérimaires, des précaires, des gens en recherche d’emploi, beaucoup de familles. Il y avait aussi, et c’est un signe révélateur, des petits entrepreneurs, des commerçants et des agriculteurs. Aucun mouvement social ne ressemble à un autre. Et celui-ci, dés la première journée, était frappant par sa diversité et un certain calme… Déterminé. Pour le moment, le gouvernement montre les dents et annonce qu’il restera droit dans sa crotte. Pas sûr que sa majorité tienne bien longtemps a marcher dedans.
Les syndicats vont se réunir dans les heures et les jours qui viennent et annoncent déjà une nouvelle journée de mobilisation pour le 21 septembre. Nous vous informerons, bien entendu des rassemblements ou autres actions.
Leo Artaud
Chroniqueur