CDR vs RDA : drôle de combat en PACA !

Chronique des 4 jeudis #10 par Laurent Eyraud-Chaume

Ce jeudi 28 septembre, le Centre de Ressources des Hauts Pays Alpins vient de vivre l’un des moments les plus tragique de sa longue histoire. Gageons que la mobilisation locale qui vient empêche cette mascarade de devenir un épilogue….

Il y a différents avantages à écrire cette chronique hebdomadaire. D’une part, étant bénévole je me permets de chômer certaines semaines, et d’autre part, c’est un espace de liberté, je ne parle qu’en mon nom propre (c’est déjà pas mal !) et ne représente personne (pour les lecteurs mals intentionnés vous pouvez sans peine relire ces derniers mots.).

A 16 ans, j’organisais un concert dans mon Lycée. J’ai fait emprunter de la lumière au Foyer Socio Educatif et j’ai donc rencontré Jean-Paul Gros du Centre de Ressources de Veynes. Je me rappelle de cette soirée et de ma fierté de technicien (quel pouvoir immense de maîtriser la lumière…). Je me rappelle de cette soirée qui fut, il faut bien le dire, pas vraiment un succès.

Nous avons créé quelques mois plus tard la compagnie Pile ou Versa. (Je reviendrai dans d’autres chroniques sur cette aventure hors norme.) Je suis passé des milliers de fois rue Anatole France. J’y ai garé toutes sortes de véhicules. J’ai chargé durant “Mons Séléucus” des dizaines et des dizaines de “Pack Samia”. Nous avons raconté tous nos spectacles grâce au matériel du CDR : “Pinocchio”, “Par courants d’airs” et même “Tartes à rêves et contes à rebours” (et oui toi qui lit ces lignes, j’ai joué dans un spectacle qui portait ce nom magique…en 1997). Nous avons été les seuls durant des années à utiliser la découpe 614 pour faire apparaître un requin terrible ! Jean-Paul notait sur ces fiches de couleurs nos prochains rendez-vous. Il était là pour nous. Il nous faisait confiance. Cela semble simple à dire mais ça ne l’était pas vraiment : nous avions à peine 18 ans et pas un sous en poche. Et il disait : “on trouvera une solution”. Dans ses yeux, nous étions capables, nous étions le futur…et ce fut le cas.

Je le dis sans aucune emphase et comme un fait vérifiable : il n’y aurait pas eu de “Pile ou Versa” sans le Centre de Ressources. Pour tous ceux qui ont aimé ce projet artistique vivifiant et décalé, je demande de réfléchir un instant… Qui offrira la confiance à ceux qui arrivent à présent ?

 

22054659_10155714639122622_1601348203_nJe viens de lire ce communiqué du département (la fin est là).  Je suis comédien dans les Hautes-Alpes depuis 1996 et intermittent depuis 1999, je n’ai jamais rien lu de si triste et de si ahurissant…

Le CDR est une association autonome. Elle a décidé d’accepter d’être l’antenne de la Régie Culturelle et de travailler en coopération avec elle. A l’époque, j’étais directeur du Fourmidiable (et administrateur du CDR) et j’ai décidé d’accompagner et de soutenir cette évolution. Nous (le CDR) pensions à l’époque que ce serait un bon moyen de développer le service que nous rendions déjà 

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aux acteurs culturels du territoire. C’était aussi une manière de clarifier les relations des institutions avec le CDR (avec des comités de pilotage réguliers). Il a été décidé cette année là, que, dorénavant, le département et la Région subventionneraient au même montant le CDR et que nous mettrions en place un plan d’investissement pour renouveler un parc vieillissant. 

La région a finalement décidé d’investir en fond propre (via la Régie Culturelle) la première phase d’achat. Le département a soutenu la structure sur des « fonds de solidarité » alloué par la Région…

A présent (2016), le département donne la moitié du montant de la subvention de la région (arrêt des fonds de solidarité régionaux et austérité “oblige”…) et aujourd’hui la Région décide de récupérer son matériel. Après des mois de concertations (CR, Dép, Mairie, CDR) pour sortir d’un imbroglio juridico-politique, lundi, le camion loué par la régie a tenté de récupérer un matériel dont il n’avait pas même la liste à jour…

Dans le même temps le Centre de Ressources, sous l’impulsion de sa présidente et de sa directrice, a multiplié les projets et diversifié ses ressources. L’association a une gestion saine. Elle est un acteur culturel reconnu du territoire, pas seulement pour son parc mais aussi pour son intervention de grande qualité sur les nouvelles technologies et sur la formation (notamment sur les nouvelles manières de coopérer (sic)). Une association, c’est cela, une capacité à innover, à inventer, à défricher… C’est un groupe d’humains, bénévoles et/ou professionnels, qui décident librement de faire vivre un territoire et de s’adapter à la réalité, de faire vivre un projet et de le faire avec rigueur.

Et aujourd’hui nous voici avec ce communiqué incroyable…

Les “Zélus”  se sont réunis et ont demandé à l’association de ne pas être présente. Les “Zélus” avaient des questions “politiques” à régler. Lundi le président du Département et le maire de Veynes souhaitaient soutenir le CDR et jeudi ils décident de le liquider. Dans ce communiqué nous apprenons qu’une antenne de la Régie Culturelle sera ouverte à Veynes (alors qu’elle existe déjà…) et que dans un second temps une “fabrique culturelle” ouvrira ses portes. On apprend que le CDR fonctionnait sans convention depuis 2014 et que les services de la Région et du Département n’ont rien fait …Qui est réellement responsable de la situation présente ? Qui ? Quand on relit le communiqué, on comprend que l’antenne sera gérée directement par la Régie (bras armée de la Région PACA en matière culturelle) et que la “fabrique” sera pilotée par le Cedra (qui est l’outil culturel du département des Hautes-Alpes). Je sais que je ne vais pas me faire que des amis (il y a longtemps que j’ai fait le deuil de faire l’unanimité) mais je trouve cette décision simplement folle et humiliante pour tous les adhérents du CDR (200 associations locales). Décider en une après-midi, entre encravatés, de supprimer purement et simplement 32 ans d’histoires locales et 5 emplois est un acte ahurissant.

Le plus fou dans cette histoire, si l’on met de côté l’absence complète de concertation avec les premiers intéressés (et l’annonce par communiqué sur facebook…), c’est la logique de “centralisation” des services qui sous-tend cette décision. Les Zélus ont besoin de maîtriser, de diriger. Ils veulent des associations aux ordres, des associations qui assurent sans mot-dire des missions de services public à moindre coût. Ils souhaitent le silence ou la mort et tant pis si le service rendu est moindre ou plus coûteux pour les contribuables, ils souhaitent le silence et le pouvoir.

Le CDR est une véritable association. Elle ne se tait pas. J’ai assisté à sa dernière assemblée générale. La parole y est libre, le savoir y est partagé. Les idées et les propositions fusent et les débats sont nombreux. Si nous souhaitons vivre ensemble, nous devons oeuvrer à l’autonomisation des citoyens, à leur capacité à avoir prise sur le réel. Je rêve souvent de services publics de proximité où les usagers ont leurs mots à dire dans une coopération citoyens/salariés bien comprise. Le CDR ne cesse d’innover. Il remplit 8 fois les cahiers des charges des différentes conventions. Ses salarié-e-s sont aux services de valeurs, de principes et de missions. Ils dépensent l’argent public avec rigueur et sens des responsabilités. Même si je défend depuis toujours les “services publics”, je souhaite leur profonde transformation vers plus de coopération et de démocratie (locale et nationale). Ce que fait le CDR aujourd’hui aucun service d’aucune collectivité ne peut le réaliser. Sa créativité tient à son statut et aucune convention ne stipule que le CDR est propriété des collectivités locales. Et pour faire plaisir à tous ceux qui sont à cheval sur l’utilisation des fonds publics et des impôts, je dis que chaque euros investi ici par une collectivité est multiplié par 3 à 30 par l’association dans son impact économique sur le territoire. Oui, les associations font aussi parties de la vie économique.

Cette journée du 28 septembre peut devenir rapidement un mauvais rêve qu’on décidera (ou non) d’oublier… Chacun peut retrouver la raison et décider de trouver une belle table où s’asseoir pour discuter. C’est ainsi que font les gens civilisés. C’est ainsi à Veynes que nous faisons depuis si longtemps…nous parlons (fort parfois) et nous parlons longtemps. Nous savons avouer nos torts et dire nos peurs et nos espoirs. Nous ne savons pas monsieur le président du Département communiquer par communiqué de presse. Nous ne savons pas régler les problèmes par la violence et la rupture du dialogue. Vous êtes un homme du Dévoluy, vous savez sans doute la lenteur des ouvrages dans notre terre rude. Vous comprenez bien qu’une expertise ne vaut que par la proximité de son regard (avouez que Bouc-bel-Air pour comprendre le 05 on fait mieux ?). Vous avez décidé, avec la mairie de Veynes et la Région, de passer en force et de rajouter de la division entre nous alors que notre vallée a besoin d’unité et de coopération. Vous avez choisi la rigidité de la RDA face à la créativité du CDR. Vous pouvez faire machine arrière et faire du 28 septembre une date à oublier et trouver une table où parler …

Il faudra des Jean-Paul pour accueillir les Pile ou Versa de demain !

 

Laurent Eyraud-Chaume    

ps : Cette courte analyse sur un retour à la centralisation mériterait un peu de temps pour développer. Je pense que c’est une maladie du système pour figer les espaces de pouvoirs. Elle touche de nombreux secteurs : la santé, le social … (Je souhaiterai lire le dernier livre de David Graeber « La Bureaucratie » qui semble parlait d’une maladie proche : « Toute réforme pour réduire l’ingérence de l’Etat aura pour effet ultime d’accroître le nombre de réglementations et le volume total de paperasse ».)

Le milieu culturel est au cœur de cette logique globale. De nombreux théâtres indépendants sont municipalisés. Partout en France, les pressions des élus sur les directions artistiques de certaines Scènes Conventionnées ou Nationales deviennent de plus en plus visibles et lisibles. L’art c’est bien quand c’est joli et quand ça ne parle pas trop du réel ou alors dans un entre-soi rassurant… mais qu’un théâtre accueil des migrants ou certaines conférences philosophiques… alors là non, il sort de sa mission et du cahier des charges…

Nous touchons pourtant ici à un sujet qui devrait nous inquiéter : celui de la liberté de création. Pensez-vous que Molière ou Vilar remplissaient des cahiers des charges ? Pensez-vous que le festival de Chaillol aurait pu être inventé dans un bureau du Département en cochant des cases pour lier objectif politique et aménagement du territoire ? Non ! Il faut des hommes et des femmes libres de toutes pressions politiques pour créer et pour inventer le récit poétique du monde. Il faut la liberté de création et la liberté de tous ceux qui font vivre l’art sur nos territoires. Je participerai à toutes les Fabriques culturelles si elles sont portées par des structures autonomes, si elles portent en toute indépendance le fanal vital d’un art populaire et libre ! Rendez-nous le CDR, nous ne voulons pas de la RDA ! (ou alors ne comptez pas sur moi pour avaler vos petits fours !).

Vous pouvez signer la pétition ici : http://soutienaucentrederessources.wesign.it/fr 

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