Nous vous proposons aujourd’hui une rencontre avec le photographe Martin Barzilaï, qui a rencontré à plusieurs reprises une cinquantaine d’ Israéliens dits « refuzniks ». Ceux-ci refusent, pour des raisons politiques ou morales, de servir une société militarisée où le passage par l’armée est constitutif de la citoyenneté. Il en a fait des portraits et les expose actuellement à Sète à la maison de l’image documentaire jusqu’au 3 février 2018 en partenariat avec Amnesty International. Une rencontre sous forme d’interview nous permettra de connaître son travail !
Peux tu te présenter en quelques mots ? Parcours, formation, expositions réalisées….
J’ai d’abord étudié à Paris à l’Ecole Nationale Supérieur Louis Lumière en photographie, j’ai ensuite pas mal parcouru l’Amérique Latine où j’ai principalement travaillé sur les problèmes sociaux, politiques et environnementaux. Mais j’ai aussi réalisé des reportages en Tunisie et en Israël / Palestine.
J’ai vécu pendant 5 ans en Argentine où j’ai fait partie d’une coopérative de photographes (www.sub.coop) Et là, je suis revenu depuis deux ans en France. J’en ai profité pour retourner en Israël / Palestine pour finaliser un travail qui vient de sortir en livre : « Refuzniks, dire non à l’armée en Israël ». En ce qui concerne les expositions, j’ai participé à quelques expositions collectives avec Sub.coop en Argentine sur le thème des problèmes sociaux principalement. En ce moment, l’un de nos travaux collectifs est exposé au Getty Center à Los Angeles. C’est un travail sur la vie d’une famille aisée dans un quartier fermé en banlieue de Buenos Aires. Au niveau personnel, le travail sur ceux qui refusent de faire l’armée en Israël est exposé en ce moment à Sète et jusqu’au 3 février 2018 à la Maison de l’Image Documentaire.
Quand as tu commencé à faire de la photo ?
J’ai commencé à faire de la photo comme un passe-temps à l’adolescence. C’est devenu plus sérieux quand j’étais à la fac.
Peux tu nous parler de ton processus de création ? Comment travailles tu ? Comment choisis tu tes sujets ?
Tout dépend du sujet : il y a des histoires qui voient le jour après de longues discussions avec des amis, d’autres qui prennent forme au contact des personnes concernées. Généralement, j’essaie de réfléchir à des sujets qui me touchent personnellement parce que je sais que j’y mettrais le plus d’énergie possible. J’essaie aussi de penser à des histoires qui puissent frapper tout le monde. Par exemple, pour les Refuzniks, ce qui est intéressant c’est que tout le monde peut s’identifier à des personnes qui n’ont pas envie de tuer ou simplement de porter des armes. Aujourd’hui, il y a une telle profusion de bons projets photographiques, qu’il faut vraiment penser la façon de traiter une histoire. Ce n’est pas seulement le fond, mais aussi la forme sur laquelle on doit réfléchir pour essayer de sortir du lot.
Quels sont tes centres d’intérêt dans la vie ? T’ intéresses-tu à d’autres formes artistiques et à d’autres formes de culture ? Musique ? Ecriture ? Style de musique préférée, bandes dessinées… Quelles sont tes influences et inspirations artistiques, littéraires…… ?
Dans la vie, dernièrement, je dois avouer que j’ai un peu de mal à sortir de la photographie. C’est terriblement chronophage et très peu rémunéré finalement de réaliser et de faire diffuser son travail. Je passe aussi du temps à regarder le travail de mes confrères comme celui de Matt Jacob sur le Chiapas, Yohanne Lamoulère sur les quartiers Nord de Marseille ou celui d’Olivier Saint Hilaire sur les déchets de guerre, il y a aussi Nadège Mazard , Damien Fellous, le collectif ActiveStills en Palestine /Israël, Fractures Photo à Barcelone… Et plein d’autres…
En musique je suis très éclectique je crois, mais j’écoute plutôt de vieux trucs comme Desmond Dekker, Jimi Hendrix, MC5, Dead Kennedys, mais aussi Georges Brassens, Boris Vian, Plume Latraverse, et meme Run DMC, les vieux NTM, ou du rap plus contemporain comme Casey. J’ai aussi un faible pour le punk français. Dans les groups actuels que j’écoute il y a Cartouche et La Fraction.
Pour le cinema je suis fan de Sam Peckinpah pour la force de ses personnages et de Bertrand Blier pour le côté absurde et critique. J’admire les réalisateurs de la série “the wire” qui font un veritable travail documentaire avant de passer à la realisation de leurs fictions. J’aime beaucoup la bande desinée meme si comme pour la musique je ne suis plus trop à la page… J’ai été bercé par Moebius et Alan Moore pour parler des plus grands. Mais j’aime aussi Matt Konture en France et dernièrement, j’ai découvert Emre Orhum, il est complètement fou et genial! Il y a bien sûr Jo Sako qui pour le coup est une veritable source d’informations. En literature, le dernier bouquin que j’ai lu qui m’a fait bien rire c’est “le club des punks contre l’apocalypse zombie” de Karim Berrouka. Mais sinon j’aime autant lire des essais qui concernent les sujets que je vais traiter que des auteurs comme George Orwell, Eduardo Mendoza, Edward Bunker ou Manchette. De temps en temps, Je lis aussi des philosophes ou des sociologues comme Foucault ou Williem Reich pour essayer de comprendre le monde dans lequel on vit.
Quel est ton regard actuellement sur ton pays d’origine, l’Uruguay? Es tu retourné dans ce pays et autres pays d’Amérique du Sud ?
Entre 2010 et 2015, j’ai vécu à Buenos Aires, en Argentine. J’allais passé mes vacances en Uruguay. Du coup, j’en ai une vision assez peu approfondie, je pense. Au niveau politique, l’Uruguay a une image progressiste parce qu’ils ont légalisé la consommation de cannabis. Mais en s’y rendant, on a l’impression que rien ne change vraiment. Et que les inégalités sociales n’ont fait que se creuser ces dernières années.
Dans cette période, j’ai passé beaucoup de temps dans le Sud de l’Argentine à Neuquen où j’ai travaillé sur l’extraction non conventionnelle de gaz et de pétrole et de ses conséquences sur la vie des amérindiens Mapuche. C’est la quintessence de l’absurdité : juste un exemple, les grandes compagnies pétrolières ont besoin de sable d’une qualité particulière pour réaliser ces extractions. Il est envoyé par bateau depuis les Etats-Unis par milliers de tonnes…
Sinon, Buenos Aires est une ville en ébullition permanente. C’est à la fois, très intéressant et épuisant. Je suis parti au moment où le président Macri a pris ses fonctions. Il a été inquiété au moment des Panama Papers, mais il ne s’est rien passé. Depuis son arrivée, un grand nombre de fonctionnaires ont été licenciés. Economiquement, la vie est de plus en plus difficile pour les Argentins.
Peux tu nous donner ta vision de la France ? Comment perçois tu l’environnement politique, économique, social au niveau national et au niveau international ?
Alors, là, c’est vraiment la question pas évidente !
Quand je suis arrivé après 5 ans en Argentine, quelques mois après il y a eu les attentats du 13 novembre. Déprimant, il faut bien dire. Et puis, quelques semaines plus tard la COP21 où des opposants se sont retrouvés perquisitionnés ou assignés à résidence. J’avais l’impression d’être toujours en Amérique du Sud à dire vrai. Mais plutôt dans les années 70. Et puis il y a eu le mouvement contre la loi travail et « Nuit debout » à deux pas de chez moi. Pendant toute cette période, j’ai redécouvert Paris et je me suis dit que ça pouvait être intéressant de montrer aux amis argentins et uruguayens tout ce qu’il se passait. Dès que je pouvais j’étais dans la rue et j’ai finalement monter un travail qui s’appelle « Un an à Paris ». ça a été un moment très intense. D’un côté, le mouvement social avait l’air de prendre de l’ampleur et de se radicaliser. De l’autre la répression avec ces nouvelles méthodes de « nassages » a été féroce, démesurée.
À part ça l’impression globale que j’ai c’est qu’on va de plus en plus à la catastrophe au niveau environnemental et que les puissants s’en fichent complètement. Dernièrement, par exemple, le fait que Nicolas Hulot ait décidé de retarder la sortie du nucléaire ne peut qu’inquiéter.
Par ailleurs, j ‘ai passé presque trois mois en Israël / Palestine, ces deux dernières années. Et la politique israélienne en matière de répression est malheureusement assez prémonitoire de ce qu’il pourrait bientôt arriver en France : en 2015, plusieurs Palestiniens ont été jugés et condamnés à huit et neuf mois de prison ferme pour de simples commentaires sur Facebook. Comme le dit le sociologue israélien Meir Amor, dans mon livre « Refuzniks » : « À l’heure actuelle, la société israélienne ne veut pas la paix, Parce que cela signifierait une transformation structurelle majeure. Il faudrait traiter les Palestiniens d’Israël comme des citoyens à part entière. Il faudrait partager les terres. Et il faudrait surtout changer la politique économique de la guerre en une politique économique de la paix. »
Et pour finir, Quel photo pourrait illustrer cette interview ?
Une photo que j’ai prise dans le camp de réfugiés de Shua’fat à Jérusalem où l’on voit quatre enfants courir la nuit vers le mur de séparation. J’ai fait cette photo pendant l’été 2017. Elle est aussi dans le livre « Refuzniks ». J’ai pensé qu’il était important de montrer dans quelle réalité vivent les palestiniens pour mieux comprendre pourquoi certains israéliens refusent de faire l’armée.
Quel (s) film (s) pourrait illustrer ton travail ?
Pour le livre sur les Refuzniks, je pense bien sûr d’abord aux films d’Eyal Sivan qui a signé la préface. Comme film qui m’a beaucoup marqué dans mon enfance et qui m’a forcément influencé il y a « Etat de siège » de Costa Gavras, même si depuis je sais que certains aspects de ce film ne collent pas à la réalité.
Quels sont tes projets ou tes envies pour le futur ?
A vrai dire, je ne sais pas trop. C’est l’incertitude. Je vais peut être aller faire un travail de photographie participative pour quelques semaines cet hiver à Barcelone avec un groupe de femmes d’un quartier défavorisé. J’ai envie de faire quelque chose à Paris, mais je ne suis pas encore certain du contenu.
Un dernier mot ?
Si vous ne le trouvez pas dans votre librairie préférée, vous pouvez vous procurer le livre « Refuzniks, dire non à l’armée en Israël » sur le site de l’éditeur : http://www.editionslibertalia.com/
Merci Sophie !
(propos recueilli par Sophie Babu)