« Sidération ? »

Chronique des 4 jeudis #12 par Laurent Eyraud-Chaume.

Les éditorialistes sont formels : le gouvernement tente de jouer sur la sidération des citoyens face à l’avalanche de réformes. C’est vrai, je l’avoue, pour une fois je suis d’accord avec les « éditorialistes » (bien qu’en règle générale face à une avalanche, on ne reste pas immobile…joie des métaphores…). Depuis le mois de septembre, nous ne savons plus vraiment si tout ceci est réel. Nous restons abasourdis, sidérés. Un jour, nous apprenons une attaque contre les fonctionnaires (oui ce vilain mot qui est en fait le synonyme d’infirmière, de prof ou de policier), le lendemain on s’en prend aux migrants, ensuite aux chômeurs et aujourd’hui à la SNCF… C’est la sidération !

La sidération est un « profond bouleversement psychique ou émotionnel qui paralyse la réflexion et la capacité d’action ». Oui docteur, c’est un bon diagnostic… En effet, c’est bien sur le psychique et l’émotionnel que tout ceci « joue » ou se « joue de nous ». Nous sommes comme touchés dans notre intimité, bouleversés par notre propre impuissance face à ce chamboule-tout permanent. L’effet de sidération est aussi en jeu lors de certains viols. La victime se construit ensuite un sentiment de « culpabilité »…

Nous sommes comme désarmés mais ce n’est pas notre « personne » qui est désarmée : c’est « nous » en tant que « citoyen ». Nous sommes, en effet, des citoyens désarmés, sans défense… Après 30 ans de reculs, de casse des syndicats, de disparition des issues politiques radicales et des organisations qui les portaient… Nous sommes face à nous même, balbutiant des échappées associatives, des solidarités locales… mais sans croire un instant dans un possible réflexe collectif de survie qui stopperait ces attaques inouïes.

Alors quoi ? En rester au « A quoi bon ? » que semble nous souffler les médias ?

Il faut vous faire un nouvel aveu : pris entre ceux qui ne votent plus et ceux qui découvraient l’action politique à travers Jean-Luc Mélenchon, l’année électorale 2017 a ré-ouvert en moi la machine à doutes (bon je crois qu’elle n’a jamais été fermée…). L’élection présidentielle est un moment de politisation et de médiatisation mais le propre des médias c’est qu’ils sont leur propre finalité. Et selon le vieil adage marxiste qui veut que le capitalisme humanise les choses et chosifie les humains, ils transforment tout en produit. L’incroyable mobilisation autour de JLM ne s’est pour l’instant pas transformé en mouvement populaire, opérationnel et pluriel. Je fais le constat que le vers était déjà dans le fruit. Construire un mouvement autour d’un temps électoral et d’un candidat alors que l’Histoire et la nécessité des transformations immédiates du réel nous invitent à l’invention de formes nouvelles était sans doute un biais dès la fondation de France Insoumise. Je ne pense malheureusement pas non plus que la simple multiplication de convergences locales suffira. Nous avons besoin de faire « politique » et pour cela de construire une visée. Les logiques partisanes ont finalement encore frappées. FI est devenu une nouvelle machine à diviser et à fracturer les lieux de rassemblement. Il faut en être ou ne pas en être. Il y a nécessairement un dedans et un dehors. Sous des apparats d’horizontalité, les « dirigeants » de la France Insoumise disent le bien et le mal, recadrent les groupe locaux qui ne tiennent pas la ligne et les journalistes (même proche d’eux) qui osent mettre en débat les paroles d’un député de la garde rapprochée de JLM. Nous voici replongés dans les plus belles heures du PCF centralisé et c’est reparti pour un tour ! Les organisations de la « gauche écologiste et radicale » (difficile en ce moment de nommer les choses…) sont fracturées et inaudibles. EELV, PCF, Ensemble sont toutes au bord de l’explosion. L’OPA JLM a fonctionné à plein régime. En analysant finement les résultats nous découvrons que JLM n’a été qu’un catalyseur d’une conscience en chemin et que son mouvement FI a peiné pour réunir un quart de son électorat un mois après.

Alors sans issue politique ni mode d’organisation opérationnelle, notre sidération semble sans borne. Il nous faut pourtant, et à nouveau, allier le pessimisme de l’intelligence et l’optimisme de la volonté.

Il y a plusieurs catastrophes en chemin, l’écologique qui est déjà-là et face à laquelle nous devons autant nous battre que nous adapter et la catastrophe anthropologique plus sournoise et souterraine qui détruit pas à pas notre part d’humanité et fait de la consommation et de la concurrence les stigmates de notre « civilisation ». Il nous faut nommer ces basculements, les déconstruire, pas simplement pour défendre des « bastions » (d’ailleurs en existe-t-il ?) mais pour comprendre et pour agir.

Il nous faut nous rencontrer dans le réel, multiplier les moments d’humanité, de plaisir commun, tenter de ne pas juger l’autre, rassembler nos pluralités de vie et d’idées. Il nous faut dire et démontrer nos désaccords profond avec le projet « En Marche vers l’abîme », lutter pied à pied, prendre du temps pour dire notre soutien à un combat qui ne nous concerne pas directement, inventer des luttes nouvelles, des terrains de confrontations, des désobéissances, des joutes spectaculaires ! Il nous faut valoriser ceux qui marchent debout face au système, ceux qui soignent, éduquent à la tolérance, ceux qui accueillent, ceux qui refusent de baisser les bras !

Il nous faut penser la catastrophe mais aussi inventer une visée qui nous projette dans un futur désirable, trouver la force de voir dans l’intelligence un ressort pour les luttes quotidiennes. Il nous faut construire des issues qui ne soit pas des adaptations, des réformes, mais des révolutions, qui osent parler du pouvoir, de l’abolition de la propriété, qui remettent sur le métier le vieux rêve communiste d’une société de partage et d’émancipation !

Il nous faut penser une mondialité nouvelle et agir aussi à cette échelle, utiliser les facilités de flux de savoirs et d’informations libérées pour créer un mouvement tout-monde. Il nous faut unir des égaux, décider ensemble de faire tomber les frontières, faire valser les identités closes et guerrières, pour glisser vers des territoires choisis et ré-inventés !

Il nous faut construire des attroupements politiques qui ressemblent au monde que nous souhaitons, qui s’éloignent des structures guerrières et pyramidales pour embrasser les outils nouveaux de la démocratie active, où l’organisation commune est aussi un chemin pour l’émancipation et l’engagement personnel sur la transformation du réel. Il nous faut réunir, rassembler, rire, fêter, nous disputer, réconcilier, recommencer et tenter d’être heureux !

Oui tout ceci sonne comme une incantation, un credo du militant, une vague volonté de refuser cette sidération. Oui, nous sommes dans un tunnel et peu de lumière nous éclaire, mais nous devons rester groupés, nous les affreux qui savons qu’un autre monde est nécessaire ! Nous devrons refonder la maison des communs et habiter ensemble ce monde.

Il nous faut passer l’hiver et revoir un printemps !

LEC

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