Comment j’ai fait Mai 68 ! (#1 L’avant 68)

C’est l’une des histoires les plus drôles de ma vie. J’ai 50 ans en 2018 et je suis monté sur les barricades au printemps de 1968. Au moment de la fermeture de la fac de Nanterre, le 28 mars, j’ai 4 mois et 3 jours et c’est là que commence mon histoire politique.

 Nicole a tout de la Daniela des Chaussettes noires. Elle naît en 1945 dans un milieu de la classe moyenne, le prolétariat a aussi ses classes. Elle grandit dans la bonne partie de la banlieue nord à la frontière du chic bourgeois d’Enghien-les-Bains et de l’autre côté d’Ermont l’ouvrière. Elle est élevée dans cet entre-deux social ni riche, ni pauvre, et dans lequel on ne badine pas avec les convenances.

Les Chaussettes noires. Daniela. 1962 

Nous sommes au cœur des « trente glorieuses ». La société de consommation est un leitmotiv qui inscrit la France d’après-guerre dans la modernité. Marshall, Bretton Woods, sont passés par là et il va bien falloir payer la note un jour ou l’autre. Alors on consomme. De tout et de rien et surtout made in America. Le rock’n roll, les cigarettes, les films… l’Oncle Sam exporte du plaisir à souhait et les caisses enregistreuses n’en finissent pas de tinter au clocher des banques. Il y a du travail. Beaucoup de travail. L’ascenseur social est posé, mais pas pour accéder à tous les étages.

Archives INA. Henri Virlogeux en 1986 cite des extraits de bloc-notes des années 1962 à 1965 

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pa-6-201cor La période des années 60 représente la somme de toutes les contradictions; à la fois prospère, mais toujours en guerre quelque part; émancipatrice et conservatrice à l’excès. L’Église catholique, toujours très présente dans l’inconscient collectif de la classe moyenne, n’est pas en reste. Le concile Vatican 2, vaste réforme et faible refonte, aura pour but de la resituer dans le temps présent (« ea ratione quam tempora postulant nostra » sera la devise du Concile).

 L’appel de l’Abbé Pierre contre le mal-logement en 1954 a été en partie entendu. On construit des grands ensembles en faisant appel à de grands architectes et « quand le bâtiment va, tout va » on peut dessiner des grands rêves. Les bidonvilles disparaissent peu à peu au profit des « cités radieuses » et des maisons ouvrières…

Le temps de l’urbanisme : 

 Le communisme français est à son apogée malgré une laborieuse déstalinisation. La gauche bourgeoise est empêtrée dans des débats existentiels. La droite enrage de voir son monde s’effondrer et l’extrême-droite ne l’ouvre pas trop… Pas encore, il est trop tôt.

Si l’Université reste majoritairement un champ réservé aux classes dominantes et notables, elle commence à faire désir aux enfants du prolétariat et les réformes des lycées de 1959 et 1963 joueront leur rôle de démocratisation des filières longues. L’instruction devient obligatoire jusqu’à l’âge de 16 ans. Malgré ces progrès, nous sommes encore loin du collège unique et les réformes ne sont pas appliquées de façon linéaire. La France des années 60 est très inégalitaire.

Archives INA-Grève des mineurs 11 mars 1963 : 

Dans sa banlieue nord, Nicole danse sur les Chaussettes noires et les Chats sauvages. Elle s’amuse des bagarres du Golf-Drouot où elle va quelques fois. Elle est comme la France… Elle s’ennuie. Alors elle traîne dans les parcs voisins d’Eaubonne où se rassemblent les voyous, les blousons noirs d’Ermont. Ce n’est pas vraiment son monde. Elle chemine vers le bac et sait déjà qu’elle fera l’école PIGIER. C’est le destin des filles de la classe moyenne ouvrière. Elle sera sténodactylo facturière. D’un tempérament joyeux, vivant, elle hésite entre les beaux gosses. L’ouvrier sérieux, syndiqué, politisé, à la carrure de Cary Grant ou le voyou, chef de bande et voleur de Traction au regard de James Dean.

Les blousons noirs-Dick Rivers et Philippe Manœuvre racontent : 

French_workers_with_placard_during_occupation_of_their_factory_1968C’est tout le drame de Nicole… Elle est comme la France des années 60 : une somme de contradictions. Elle aime le rock n’roll et la poésie. Elle rejette les convenances, mais reste très pudique. Elle aime sa famille, mais pas ses règles. Elle se distrait autant qu’elle se cultive. Elle admire Golda Meir en écoutant Salut les copains. Entre insouciance et conscience… Dans ce milieu des années 60, elle aimait bien Kennedy, mais déteste, par-dessus tout, la guerre du Vietnam et soutient Cuba. De là a dire que cette fille va mal tourner et finir sur les barricades en chantant L’Internationale avec des badges Peace and love sur la poitrine et un bébé dans les bras… « La vie ne serait-elle qu’un jeu pour toi ? »

La suite jeudi prochain.

Leo Artaud

 

3 commentaires

  1. J’en suis aussi , je vais avoir 50 ans cette année , je me sens imprègné de cette période qui m’a vu naître et saute toujours sur des infos et photos de Mai 68 .Merci pour ce récit , vivement jeudi pour la suite !!!!

Répondre à Galy Jean-Paul Annuler la réponse.

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