C’est l’une des histoires les plus drôles de ma vie. J’ai 50 ans en 2018 et je suis monté sur les barricades au printemps de 1968. Au moment de la fermeture de la fac de Nanterre, le 28 mars, j’ai 4 mois et 3 jours et c’est là que commence mon histoire politique.
(épisode 1 et épisode 2 sont encore en ligne)
Nicole…
Le 10 janvier 1966, Nicole a 21 ans, elle est majeure ! Le 7 mars, de Gaulle annonce la sortie de la France du commandement de ce que les communistes appellent « la Nouvelle sainte alliance réactionnaire » : L’OTAN.
Discours de de Gaulle-1966-Sortie de l’OTAN
Dans le Figaro, André François Poncet, qui prit la place de Pétain à l’Académie française, écrit en s’opposant à cette sortie de l’alliance : « « Mao Tse Toung est un autre Hitler. A sa place peut surgir un Gengis Khan, un Tamerlan, un Mahomet qui, muni d’armes atomiques, entraînera les populations affamées d’Asie et d’Afrique à l’assaut des peuples nantis et prospères, à l’assaut des Blancs et de leur civilisation. »
Dans l’Humanité, Yves Moreau, grande plume de la politique internationale, déclare « notre opposition au pacte atlantique a un caractère fondamentalement différent de celle du pouvoir gaulliste. Dès sa création, nous avons pour notre part dénoncé le bloc atlantique comme une nouvelle Sainte Alliance réactionnaire. Et concluait « Quelles que soient les raisons qui ont inspiré la démarche du général de Gaulle auprès du président Johnson, nous l’approuvons puisqu’elle va dans le sens du désengagement et de la coexistence pacifique. »
De Gaulle a dit « NON ! » et prié les 27 000 Gi’s installés dans les bases françaises de préparer leurs bagages. Dans la banlieue nord, la plus rouge d’entre elles,Nicole a dit « OUI ! » à Gaby. Libéré de la conscription et avec un CAP de tourneur rectifieur, il épouse la belle jeune mère idéaliste et rêveuse et les tourtereaux s’installent dans un petit nid modeste à quelques encablures de la Capitale. Ils partagent le goût des livres et de l’engagement dans les grandes questions de leur époque. Ils adhèrent, bien entendu, au Parti communiste et à la CGT, parce qu’en ce temps-là… La conscience de classe ne se brade pas et la fierté ouvrière n’est pas un vain mot.
Michel Polnareff-1966/67-Love me, please love me
Nicole, c’est le monde qui la passionne ! Elle voudrait être en Amérique où l’on parle de la paix. On se couvre de fleurs et on rédige le premier traité international relatif aux droits civiques et politiques. Angela Davis n’est plus très loin d’embraser les consciences. Voyez comme c’est beau :
http://www.ohchr.org/FR/ProfessionalInterest/Pages/CCPR.aspx
Il n’y a pas que la jeunesse qui n’en peut plus de la guerre. Le monde scientifique engagé depuis les années 50 contre le développement de l’arme atomique, nucléaire prend également part au débat politique. Russel, Joliot-Curie, Einstein font des petits qui ne pensent pas la vie qu’au niveau moléculaire.
Bertrand Russel-1959-Message aux générations futures :
Les intellectuels, les poètes, les philosophes, tout le monde s’en mêle ! En France, la guerre d’Algérie laisse un champ de rancœurs et de haines qui n’est, encore aujourd’hui en 2018, pas complètement pardonné. Celle d’Indochine aura quelque peu terni une partie de la belle jeunesse résistante.
Ferrat chante Nuit et brouillard (1963)
Nicole et Gaby exècrent la guerre. Lui, né en 1943, échappe d’un an à la conscription en Algérie et fera son « service » dans le génie. Ils forment ce qu’on appelle un modèle de couple ouvrier et intellectuel. C’est un des piliers de la lutte des classes. S’instruire, s’éduquer, pour, disait Duclos, que chaque intellectuel, patron, élite, lorsqu’il a un communiste face à lui, sache qu’il devra parler à égalité.
Le monde est monde est c’est là tout son charme : il faut de tout pour le faire bien. Pour Gaby, c’est l’usine, le métier, le salaire ! à elle le rêve et l’utopie. Il n’aime pas le désordre et il ressemble à Berlin-est où il travaillera un temps. Elle, chante la vie à tue-tête en fumant des Gauloises bleues et en s’encanaillant avec les copains, les copines, dans des belotes interminables. Il aime Prokoviev, Beethoven, Camus, Ferrat, mais surtout Brassens. Elle danse, Nicole, elle danse ! sur les Beatles et découvre Joan Baez entre deux lectures de Kerouac et l’écriture poétique.
Pierre et le loup avec Gérard Philipe sous la direction de Guennadi Rojdestvenski avec le grand orchestre symphonique de l’Union soviétique :
Will You Go Lassie Go – Joan Baez (edinburgh 1965)
Ils ont en commun le même idéal, mais de là à dire que cette jeunesse qui va bientôt prendre part au printemps de tous les espoirs regarde, l’un et l’autre, le même point d’horizon…
La suite la semaine prochaine.
Leo Artaud
Excellent récit, vivement la suite…