Interview du Président de la République : La forme, le fond et le tréfonds protéiforme…

 

La forme

L’annonce d’une entrevue du président menée par la couple improbable Plenel-Bourdin un an après son élection ne peut laisser aucun observateur de la chose politique indifférent.  On se dit qu’évidemment, ces deux-là ne vont pas se soumettre au jeu habituel des questions choisies et des réponses sans retour réel. Sans douter qu’ils ne soient pas dupes de l’opération de communication menée par l’Élysée, une certaine confiance de l’intérêt de la chose s’impose.

 L’intégrale (source chaîne YouTube Mediapart)

Il faut bien le dire… Les interviews présidentielles étaient jusque là ennuyeuses (ah si !) à l’heure d’internet, des chaînes à profusion… On eut dit qu’elles ressemblaient à un vieux timbre collé sur un écran pour envoyer un courriel. Avec Nicolas Sarkozy, les mouvements de caméra suivant, tant bien que mal, l’agitation ineffable des épaules comme dévissées du tronc, offraient un semblant de vie, certes, mais un semblant seulement. Avec François Hollande… Il n’y avait même pas de semblant.

Plenel, Bourdin, quand même ! ça sent la testostérone ! comme chantait Le grand Jacques (Higelin !) « Que tous les cannibales qui s’éclatent au balcon s’arrachent les amygdales, vas y avoir de l’action ! ». Trois lieux étaient pressentis dont le Fluctuat nec mergitur, place de la République (anciennement Café des médias), le Collège de France au cœur du Quartier latin et, enfin, le Palais de Chaillot. Si les deux journalistes qui avaient distinctement fait cette demande d’interview il y a un an, n’ont pas trop hésité (de leur dire) à la proposition du Président de la faire ensemble, ils ont posé comme exigence qu’elle ne se déroule pas à l’Élysée.

C’est donc le Chaillot qui est choisi dans le théâtre même où, en 1946, les deux premières sessions de l’assemblée générale se tiendront. LONU ne possédant pas encore de siège officiel, le palais bénéficiera d’un statut d’extraterritorialité exceptionnel. Le 10 décembre 1948, sous le secrétariat général de Trygve Lie, sera adoptée la Déclaration universelle des droits de l’homme. Jusqu’en 1952, année du déménagement à New York, l’institution des Nations-Unies y tiendra toutes ses assemblées. L’OTAN y succédera de 1952 à 1959.

Les deux questionneurs vont prendre deux angles : l’un rapportant les préoccupations des lecteurs et spectateurs de leur média respectif : Mediapart et RMC et un ordre des questions à partir des débats en cours dans l’actualité. À 3 ou 4 reprises, Emmanuel Macron surpris dénoncera « des questions orientées » ce qui, le temps d’en discutailler lui permet de réfléchir aux réponses. Vieille technique discursive pour dissimuler un embarras, le choix des intervenants et le format choisi impliquant des questions nécessairement orientées et réponses qui ne le sont pas moins. Reconnaissons, toutes fois, qu’il n’en abuse pas et répond à tout.

Dans le rythme, la précision et la distribution des questions, ça sent le pro ! Les trois interlocuteurs maîtrisent leur affaire et il n’y a pas de temps mort. Quelques passes d’armes, escarmouches, vont aussi animer la soirée sans pour autant lui ôter son caractère hautement politique. C’est toute la force de cette formule : ça vole plus haut que d’habitude et plutôt dans le bon sens.

L’interrogation finale : Le spectre politique assumé des deux questionneurs propose un clivage pluraliste gauche/droite, progressiste/conservateur qui reste, malgré tout, dans le champ républicain du président. Qu’en serait-il si la formule se répétait avec un journaliste de Valeurs actuelles d’un côté et de l’autre Révolution permanente ?. C’est peut-être la limite de ce format si on en reste à des questionneurs journalistes. Il existe d’autres professions, d’autres citoyens, qui pourraient tenir ce rôle. Des philosophes, des sociologues, des chercheurs, et aussi des citoyens de tout corps.

Sur la forme, Emmanuel Macron est très bon dans ce genre d’exercice. Il est combattif, malin, et au sortir des 2h38 d’entretien, on se dit qu’il ferait un excellent porte-parole du gouvernement… Voire même qu’il a l’étoffe d’un Premier ministre tant il est calé sur ses dossiers. On se dit qu’il serait vraiment temps d’en finir avec le régime présidentiel et de passer à une nouvelle république dont, sans aucun, doute, il serait une figure qui compte dans le champ politique.

Sur le fond

Si la valeur n’attend pas le nombre des années, le temps ne fait rien à l’affaire non plus… Lorsqu’on est libéral, on est libéral ! Il ne diffère pas de ces deux derniers prédécesseurs ni sur les questions sécuritaires et encore moins sur celles économiques, mais il avoue à demi-mot, vite fait en passant, que sa principale opposition est l’« illibéralisme ». il emploie ce mot à deux reprises pour s’opposer à l’orientation prise par Orban en Hongrie, mais plus précisément, définie et critiquée par Pierre Ronsvallon. Cette référence assumée est fondamentale et cohérente avec sa vision politique même si on entend plus Tocqueville que Marx résonner.

Ce qui est troublant est le sentiment du droit fini, achevé, qu’il laisse échapper lorsqu’il rappelle « l’ordre républicain ». On le sent perplexe lorsqu’Edwy Plenel lui demande si on peut expérimenter dans notre société d’autres modèles d’économie et de vie (cf. Notre Dame des Landes). Sa réponse est surprenante : c’est du désordre puisque ce n’est pas dans la loi. Les SCOP oui, la ZAD non. Les SCOP se sont pourtant inventées dans la lutte. Il semble penser que le statut des cheminots, par exemple, « n’est pas dû aux cheminots »… C’est tombé du ciel, semble-t-il. Il prétend prendre l’Europe telle qu’elle est sans l’aimer et, surtout, sans assumer ce qu’elle est et qui est pourtant le fruit des choix politiques qu’il défend. Macron… C’est E.T. Toutes les réformes déjà engagées entraînent l’économie vers la libéralisation totale. Dans le même temps, il déclare « Il y a des gens dans l’économie qui spéculent, je le regrette, je ne le défends pas »… Et pourtant ses choix politiques ne font que renforcer le pouvoir de la spéculation.

On pourrait y voir, bien entendu, un esprit en proie à des contradictions, des batailles intérieures, mais la somme des contre-vérités assénées ne laisse que peu de doute sur sa ligne idéologique pensée et déterminée. Il est moins brouillon que Nicolas Sarkozy et moins faux-cul que François Hollande, mais il a quelque chose d’Appolo Robin dans son verbatim qu’il est conseiller de vérifier nos poches après l’entretien :

Sur les universités : Il prétend que les blocages sont dus en majorité à des gens venant de l’extérieur des établissements et que cela justifie l’intervention, parfois très violente, des forces de l’ordre. Il a pourtant été clairement démontré que les seules personnes étrangères aux établissements étaient des groupes, des factions d’extrêmes droites venues « casser du gauchiste » avec, à Montpellier, l’assentiment du recteur. (Il donne également raison aux recteurs qui s’opposent aux A.G des étudiants à caractère politique. Ce qui est un refus autoritaire de toute forme d’opposition à la réforme qui est aussi politique et idéologique).

Il prétend que la réforme annoncée du régime des retraites a pour but d’accompagner l’accroissement de la vie alors que tous les indicateurs montrent une fluctuation et une incertitude de stabilité au niveau international. En France, en 2018 elle est en hausse, mais elle était en baisse en 2015. Notons, également, que la différence entre les plus riches et les plus pauvres est de 13 ans en moyenne pour la France et qu’un ouvrier vit 6 ans de moins qu’un cadre. Le régime unique annoncé relève donc d’une politique inégalitaire.

Il prétend que le budget des hôpitaux a largement augmenté alors que cette augmentation s’est limitée à 2% ce qui représente moitié moins que la hausse des charges fonctionnelles.

Il prétend que le régime des retraites et le statut des cheminots pèsent sur l’endettement et le fonctionnement de la SNCF alors que ce régime est autofinancé et sans déficit.

Sur la loi immigration et droit d’asile, il abonde son ministre de l’intérieur Gérard Collomb qui prétend à une « submersion migratoire » alors que tous les chiffres, tous les observateurs, notamment institutionnels, montrent, démontrent, prouvent, que la seule crise qui existe est celle de l’accueil et que le taux d’immigration est stable en France depuis plusieurs années.

Sur l’intervention en Syrie, il se contente d’affirmer sans rien démontrer que le renseignement français a des preuves de l’utilisation d’armes chimiques par le régime El Assad. On peut donc s’étonner que les conditions de l’enquête internationale n’aient été mises en place qu’a posteriori.

Lorsqu’on ne cède pas à la « déconstruction » assumée par Emmanuel Macron, des questions et des interpellations durant cet entretien, on dessine sans peine une politique libérale conservatrice moderne dans la forme et régressive dans le fond. Le temps ne fait rien à l’affaire… Vieillerie libérale ou libéral de la première engeance, quand on est libéral, on est libéral !

Le tréfonds protéiforme…

Ah qu’il fut indigné durant cette soirée ! Indigné de tout : la misère, la violence, les inégalités, les valeurs flouées à bas ! Si on faisait un montage de toutes ses indignations, Besancenot serait remisé à sa droite. La « Fracture sociale » de Chirac c’est du pipi d’étourneau à côté. C’est beau comme de l’Abbé Pierre. On aurait pu croire qu’il allait annoncer le remplacement d’Edouard Philippe par Pierre Laurent.

Chassez le naturel, il revient au galop par le rythme soutenu des questions. Finalement il réduira au détour que la démocratie se résume au suffrage. Que la reprise de la dette de la SNCF dépendra de ce que lâcheront les syndicats et non du fait d’être l’actionnaire unique. Il fera le distinguo entre la population et les associations de défense des migrants ou des droits de l’homme. Il reprend à son compte le principe de base de la RGPP sans la nommer. Il lâchera aussi ce lapsus qui est peut-être révélateur, allez savoir : « Les démocraties, la communauté internationale ne sont pas du côté du faible ».

Il a joué le bon sur les questions d’égalités homme femme, la brute sur tout ce qui n’est pas de son ordre républicain et le truand sur la finalité de sa politique libérale.

 

Leo Artaud

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