Alp’ternatives vous propose, grâce au travail rigoureux d’Elie Ducos, de relire les prises de paroles qui ont eu lieu à la sortie de l’audience du 31 mai devant le tribunal de Gap. Devant une foule attentive (entre 300 et 400 personnes) et de nombreux médias nationaux, Bastien et Théo, puis leurs avocat-e-s, ont détaillé, pour l’Histoire, les enjeux, juridiques et politiques, de ce procès des « 3 de Briançon ».
Bastien Stauffer : « Est-ce qu’en criminalisant la migration, on n’insulte pas l’avenir ? »
Pour moi, c’est important d’exprimer ma position sur le fond du problème qui nous concerne. Dans ce tribunal, on parle de faits. On parle des histoires, on parle de philosophie, mais on ne parle pas du fond du problème qu’est la migration et les personnes qui en souffrent. On a entendu des plaidoiries, des arguments qui parlaient de la situation actuelle et passée, sur des lois précises. De mon côté, j’aimerais vous parler du futur, aussi étonnant que cela puisse paraître. Trois raisons principales : nous sommes jeunes et c’est le futur qui nous intéresse. Parce-que la migration, dont la criminalisation est la raison de cette histoire, est un phénomène qui existera et s’accentuera certainement dans le futur. Et aussi pour se poser : est-ce qu’en criminalisant la migration, on n’insulte pas l’avenir…
Mais qu’est-ce qui nous fait mettre en avant cette dernière affirmation ? Ce sont les désastres climatiques annoncés, matraqués jour après jour, la montée des eaux de plus de deux mètres, la désertification des zones, la sécheresse, ouragans, tempêtes, déclin de la biodiversité et j’en passe. Ce sont tous des phénomènes climatiques extrêmes qui vont avoir une influence sur une autre donnée fondamentale de la vie : la baisse de la productivité agricole. Ensemble, ces phénomènes vont impacter les gens, les faire fuir et amener de l’immigration. Je vais dire un seul chiffre : 80% des émissions de gaz à effet de serre depuis le début du XIXème siècle ont été créées par l’Occident. Monsieur le Procureur, est-ce que c’est ça votre vision du « vivre plus paisiblement ensemble » ? Cette inégalité… On ne parle pas ici d’idéologie comme vous le mettez en avant ou de philosophie sur la fraternité que les gens débattent dans le palais, mais d’une analyse critique de la société.
Où veux-je en venir avec ces propos ? Je veux mettre en avant par cet exemple que ce sont les mêmes pays qui criminalisent l’exil qui en sont coupables. Vous avez étudié le droit. J’étudie l’histoire économique et je peux sans retenue vous affirmer que les problèmes climatiques et la migration qui en découle sont majoritairement le résultat du capitalisme.
Par cette prise de parole, je cherche à mettre en avant l’un des problèmes de fond liés à la migration de demain, tout comme la migration d’aujourd’hui est le résultat du colonialisme, de l’esclavagisme et de l’impérialisme. On ne résout pas un problème en questionnant ses symptômes, mais bien les causes.
La criminalisation des personnes en exil et des personnes qui leur sont solidaires occultent la raison de cet exil. C’est la question de société que l’on essaye de soulever et qu’on doit se poser pour l’avenir et que le tribunal, de par ses lois qui ont accompagné les désastres de la société d’aujourd’hui et d’hier, est incapable de répondre à ces questions qui devraient pourtant être fondamentales.
Les lois se bornent à des pacotilles. Le reste est à nous. A la lutte.
Théo Buckmaster : « Les réfugiés qui fuient la misère sont condamnés juste pour ne pas être nés en Europe »
Bonjour tout le monde !
Pour nous, c’est important d’exprimer notre point de vue, car nous estimons notre position solidaire juste et fondée. Ce procès est avant tout d’ordre politique, et pas seulement juridique comme a essayé de le dire le procureur : ça le montre bien, la mobilisation, les médias qui sont là, et tous les gens qui nous soutiennent.
Nous ne sommes pas juristes, mais nous vivons dans ce monde et pour nous, il est important d’y mettre du sens. Obéir aux lois sans y mettre du sens, pour nous ce n’est pas une argumentation.
Ce procès est pour nous le reflet de l’hypocrisie ambiante. Elle évite de faire face aux problèmes de fond, qui sont le dysfonctionnement de cette société techno-industrielle, dont la crise migratoire est une conséquence. Il y a des gens qui migrent et les raisons sont de plus en plus visible : le réchauffement climatique, la misère économique, les gouvernements totalitaires, des guerres de plus en plus nombreuses, dans lesquelles l’Occident a une grande part de responsabilité. Il y a la volonté d’éviter la question qu’il faut se poser : comment est-ce que l’Union Européenne, comment les Etats font pour gérer ça, quoi ? Il y a une volonté d’éviter une vraie réponse.
D’un côté ils criminalisent les réfugiés, qui sont des personnes qui fuient la misère dont ils sont victimes. Pour moi, je trouve que le délit de ces personnes ne revient à rien d’autre que d’essayer de survivre. Ils sont condamnés juste pour ne pas être nés en Europe. La deuxième raison, c’est aussi la volonté de criminaliser cette solidarité. C’est ce qui est en jeu ici. C’est ce qui nous est reproché. De considérer les gens qui aident ces personnes en difficulté hors-la-loi. On nous met en prison car on prend le risque de questionner ces états de fait. Les gens qui ne veulent pas laisser ces personnes prendre le risque de mourir de froid dans la neige, on les met en prison. C’est n’importe quoi. Ça questionne la légitimité d’un Etat qui pour assurer sa pérennité, est prêt à criminaliser des personnes innocentes, autant des réfugiés que les gens qui les aident. Il y a un acharnement juridique sur la solidarité et nous trouvons que ça, c’est de la violence.
Cette violence est aussi, avant tout, au sein de ce que l’Etat met en place. Au sein des dispositifs que sont la militarisation, la chasse à l’Homme, le contrôle au faciès. Et à travers un discours visant à déshumaniser les migrants, et de déclarer par exemple, comme l’a fait le procureur, de dire que la mort d’une réfugiée n’est pas une disparition inquiétante. C’est n’importe quoi. Pour régler le problème, comment réagit l’Etat ? Il dit qu’il est plus facile d’enfermer les migrants, même s’ils n’ont rien fait de mal, et d’enfermer les gens qui les soutiennent. C’est une honte. C’est n’importe quoi. Et surtout, c’est une façon d’éviter de régler le problème.
Notre réponse à nous, c’est d’être et de rester solidaires et humains, parce-que avant tout, c’est ce qui est au fond, quoi. Si on est militant et qu’on défend les idéaux, c’est pour être proche de l’Homme et de la nature. Y a rien de plus fort que l’entraide dans ce monde qui va à vau-l’eau, et je pense qu’il faut que l’on reste solidaire.
Maître Philippe Chaudon : « C’est une étape importante dans la compréhension de ce qui est en train de se passer dans notre pays »
Il a été noté l’ampleur de cette mobilisation, mais il a été aussi noté de façon précise le fait que cette mobilisation a permis au procureur de la République d’estimer qu’il n’y avait pas de risque pour l’ordre public. C’est-à-dire que la façon dont vous manifestez votre opposition au sort des trois de Briançon est suffisamment digne, honnête et perceptible. Et c’est pour ça qu’il faut continuer et qu’il faut continuer comme ça. Vous nous avez aidés à justifier nos demandes de main levée totale du contrôle judiciaire quelles que soient les motivations de nos clients.
On nous a indiqué assez tôt que le fond du dossier ne serait pas abordé. Mais ne pas aborder le fond, ça ne veut pas dire ne pas estimer être en capacité de justifier de l’incohérence des poursuites. Et tout en justifiant l’incohérence des poursuites, le tribunal correctionnel de Gap nous a écouté et a estimé qu’il n’était pas nécessaire de maintenir ces trois jeunes gens sous contrôle judiciaire.
Ce n’est pas une victoire. C’est une étape, mais c’est une étape qui est importante dans la compréhension de ce qui est en train de se passer dans ce pays en termes de délit de solidarité, ou maintenant on pourrait peut-être dire pour reprendre les mots d’Henri Leclerc, « délit de fraternité ».
Un petit mot juste pour signaler que l’on a essayé avec les moyens qui sont les nôtres, qui sont uniquement les armes du droit, de porter notre soutien à notre manière, aux trois de Briançon. On n’a rien lâché, l’audience a été tendue, comme celle sur la mise en liberté avait été tendue.
Simplement, ça m’a permis de penser à une très très veille chanson. On a parlé des heures sombres de l’Histoire, on a parlé de choses qui ne sont pas agréables pour quelque démocratie que ce soit. Il m’est revenu des paroles : « lorsque la jeunesse ouvre la bouche, par la force des choses et par la force de l’ordre, on la lui fait fermer ».
Aujourd’hui, on n’a pas réussi à la leur faire fermer. Je ne dis pas qu’il faut continuer. Je ne suis pas militant. Dans le rôle qui est le mien, en avocat de la défense, je peux dire que j’ai été fier de ce qu’ils ont fait et de ce qu’ils nous ont permis de faire.
Maître Henri Leclerc : « La loi française et son application doivent d’abord se soumettre aux principes fondamentaux »
Je suis ici en tant qu’avocat. Mais il se trouve que je suis aussi un militant. Bien entendu, ma parole ici est une parole d’avocat mais, comment empêcher la parole d’un militant de se mélanger à la parole d’un avocat ?
D’abord, ce procès est un procès totalement politique. Qu’est-ce que c’est que cette idée extraordinaire de dire « il n’y a pas de politique » ? Non ! Le droit dans cette affaire, c’est de la politique ! Le droit c’est de la politique. Et d’ailleurs, ce que nous demandons, c’est ce qu’il y a de plus politique. Peut-être que certains ont du mal à comprendre.
Nous avons posé la Question Prioritaire de Constitutionnalité. Ça veut dire que nous estimons qu’au-dessus des lois, au-dessus des comportements actuels de l’utilisation des lois, il y a des principes fondamentaux. Et ces principes fondamentaux sur lesquels nous nous fondons, certes, il y a la nécessité des peines, tout ça, mais c’est fondé sur quoi ? Sur deux textes essentiellement. En principe, le principe de fraternité et le principe de nécessité des lois, c’est fondé sur deux textes. Le premier, c’est la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen qui a été voté par l’Assemblée Constituante moins de quinze jours après la prise de la Bastille. Ce texte est aujourd’hui totalement révolutionnaire ! Même si certains disent « mais non, c’est un texte bourgeois, faut aller plus loin… ». Moi je m’en fiche ! C’est un texte totalement révolutionnaire pour protéger les libertés. Le deuxième texte sur lequel on se fonde, c’est le préambule de la Constitution de 1946 qui a valeur constitutionnelle et qui a été fait par la Conseil National de la Résistance. C’est pas rien !
C’est-à-dire que ce que nous demandons aujourd’hui, c’est de dire que la loi française et son application doivent se soumettre d’abord à ces principes, dont je rappelle que ce sont des principes révolutionnaires -même s’ils sont dans notre Constitution actuelle. Ça c’est le premier point. Le deuxième, c’est que le problème de cet acte, de ce qui a été fait, de cette manifestation, c’est que les gens, les trois qui sont poursuivis, sont les trois qui sont pris au hasard. Qui sont pris au hasard ! Ils étaient cent, ils le reconnaissent eux-mêmes. Ils étaient cent ! On en prend trois au hasard, qu’on prend dans la rue comme ça, on dit « ah bah tiens, ils y étaient »… et les quatre-vingt-dix-sept autres, bien entendu…
Ce dont je suis content, c’est que le tribunal de Gap ait reconnu qu’on lui demandait de poursuivre des gens en vertu d’un texte dont la constitutionnalité était contestable. La constitutionnalité, ça veut dire la compatibilité avec nos principes fondamentaux.
Moi, je vais vous dire quelque-chose, je vais vous faire un aveu, qui va en étonner certains : je crois à la société démocratique. Bon. Et je crois effectivement que les principes du droit sont les principes essentiels. Les principes du droit, c’est essentiellement politique.
Et lorsqu’aujourd’hui, nous obtenons deux choses : d’une part, que la Question Prioritaire de Constitutionnalité soit levée, et d’autre part, que malgré les réquisitions du procureur de la République, le contrôle judiciaire soit levé, ça ne veut pas dire que nous avons encore gagné cette affaire. Elle va revenir ici le 8 novembre. Quelle que soit la décision du conseil Constitutionnel, ils trouveront le moyen de la faire revenir. Et il faudra qu’on se batte. Et on se battra sur quoi ? Là aussi sur l’application du droit ! Sur le fait que j’estime qu’ils n’ont commis aucune infraction, même en l’état actuel de la loi. C’est ça le problème. Et ça c’est politique. Fondamentalement politique. Idéologique.
Lorsque le procureur dit qu’il ne fait pas de politique et d’idéologique, c’est pas vrai. L’action dans cette affaire est totalement politique. Il s’agissait de quoi, dans ce dossier ? Il s’agit de répondre aux identitaires qui disaient quand l’Etat ne faisait rien. C’est même jusqu’à dire que l’intervention de ceux qui sont poursuivis ne peut même pas être qualifiée d’humanitaire. C’est-à-dire qu’on demande l’application des droits de l’Homme, et les droits de l’Homme ça ne serait pas humanitaire. Il y a quelque-chose qui est très choquant.
Je pense que le tribunal à répondu comme il devait répondre à mon avis aujourd’hui.
Nous reviendrons ici le 8 novembre, croyez-le. Et moi je pense qu’on devrait obtenir, et il faut l’obtenir, pour des raisons politiques et juridiques à la fois, mélangées, il faut obtenir que ces gens-là soient relaxés, que nos trois militants soient relaxés. Voilà ce que nous avons fait.
Maître Cécile Faure-Brac : « Le fond de ce dossier ne justifie nullement que ces trois personnes soient incriminées pour leur action »
Je vais mettre une touche féminine à ces prises de parole et à ce débat. Je reprendrai la citation d’Antoine de Saint-Exupéry où « la démocratie est une fraternité ». Je pense qu’aujourd’hui vous la représentez, avec votre mobilisation, votre solidarité, votre combat, auquel nous, avocats, aussi on participe.
Je suis vraiment très contente que l’on ait pu être entendus par le tribunal correctionnel de Gap parce-que la loi sur laquelle les poursuites sont fondées doit être remise en cause au regard des grands principes, et d’un grand principe, auquel je tiens et auquel tout le monde tient, qui est le principe de fraternité.
La levée du contrôle judiciaire et la manifestation de la remise en cause de cette répression qui s’est abattue sur eux à partir du 24 avril, c’est très satisfaisant. Je rejoindrai les propos de maître Leclerc, « c’est une petite victoire ».
La victoire, on va se battre pour l’avoir le 8 novembre 2018, avec cette décision du conseil Constitutionnel mais aussi avec le fond de ce dossier qui à mon sens ne justifie nullement que ces trois personnes soient pénalisées et soient incriminées pour leur action qu’on leur reproche. Donc nous battrons pour, ensemble, je pense, pour la relaxe.
Maître Yassine Djermoune : « Ce n’est jamais innocent d’être convoqué devant les forces de police pour répondre du délit de solidarité »
Les mots ont été lâchés par maître Leclerc « avocat mâle blanc », j’ai jamais voulu le faire, mais peut-être que la prise de parole d’un avocat racisé… ce sont les termes eux-mêmes de Théo et Bastien qui dans leur conférence de presse ont fait état des privilèges qu’ils ressentaient en tant que blancs. Ça me semble important de mener ces discussions-là aujourd’hui. Ce sont des termes extrêmement importants.
Juste trois mots rapides : Théo. Bastien. Eleonora. Théo. Bastien. Eleonora. Ils ont participé à cette marche. Ils ont commis un acte de solidarité.
Quelques mots également pour dire que c’est Théo, Bastien, Eleonora, et c’est des dizaines d’autres qui depuis des mois sont auditionnés par les services de police pour ce délit-là. Le procureur a eu le beau jeu de dire qu’aucune poursuite n’avait été engagée. Ce n’est jamais innocent d’être convoqué devant les forces de police, de répondre de ce délit. Il y a Théo, Bastien, Eleonora. Il y a aussi Benoît. Vous vous souvenez : il y a quelques mois, il avait été convoqué, parce-qu’il avait aidé une femme enceinte à rejoindre l’hôpital de Briançon. C’est Théo, Bastien, Eleonora, Benoît, c’est Michel Rousseau, c’est tous les bénévoles de Briançon, c’est tous les bénévoles de Gap, qui depuis des mois, commettent ce délit-là, de solidarité.
Donc merci d’être venus en bande organisée soutenir ce délit de solidarité.