Il y a les soignants, puis il y a ceux qui les encadrent. Drapés derrière des fonctions au nom pompeux comme “cadre de santé”, “directeur des ressources humaines” ou “directeur des soins”, ce sont eux qui gèrent les plannings, le remplacement du personnel ou encore les situations de détresse émotionnelle. Souvent chargés de “porter les mauvaises nouvelles”, comme les réductions d’effectifs, ils sont pris en tenaille entre les équipes de soin et la direction. Toujours en première ligne, ils sont aussi les premiers à craquer.
Hélène a changé de fonction, mais pas d’hôpital. Tantôt infirmière, la jeune femme s’est muée en cadre de santé. Elle est désormais chargée de gérer les plannings et de faire le lien entre le personnel soignant d’un service et la direction. Une position hybride, parfois difficile à assumer. “On est en tenaille entre le marteau et l’enclume : on a cette valeur et cette connaissance du travail soignant mais d’un autre côté on est pressé par la hiérarchie. Les contingences font qu’on doit appliquer des choses qui ne nous conviennent pas à nous.” Un “dilemme”, dont elle n’a toujours pas trouvé la solution. Souvent porteuse de mauvaises nouvelles, Hélène est, par exemple, celle qui annonce les réductions de personnel. “Bien entendu la nouvelle ne passe pas. J’essaie d’expliquer les choses avec du vocabulaire basique, on se comprend. Je ne promets pas des choses, mais j’essaie d’aller jusqu’au bout.” Sans pouvoir de décision sur le choix, ou non, de réduire les effectifs elle assure faire de son mieux. “Cette réalité, elle est ingérable : la santé n’a pas de prix.” Des réductions de personnel de plus en plus fréquentes dans le milieu hospitalier : “La réduction des dépenses est devenue le premier objectif de la gestion hospitalière et du système de santé”, détaille un ancien directeur des soins, anciennement chargé du recrutement et de la gestion du personnel. Ce dernier est catégorique : “La qualité de soins, incluant le confort et surtout la bientraitance, prodiguée à la personne soignée est une composante fondamentale dans la formation des soignants. Toutefois, la mise en oeuvre de cette qualité des soins se heurte souvent aux obstacles financiers.”
Une situation à flux tendu qui entraîne des difficultés de gestion. “Les manques d’effectifs, c’est atroce”, soupire Hélène. Dans l’hôpital où elle travaille, une équipe est dédiée aux remplacements d’arrêts maladie de dernière minutes. Mais cela fait bien longtemps que ces derniers sont positionnés ailleurs. “On est obligé de rappeler du personnel sur leurs jours de repos”, confie-t-elle, en décrivant une situation très intrusive pour les soignants dérangés. Hélène exerce son métier de cadre de la manière la plus humaniste possible : “J’ai vécu le harcèlement pour revenir travailler sur mes jours de repos quand j’étais infirmière. C’est pour ça que je fais attention aux mots que j’emploie. Je ne veux pas que mes équipes sentent une pression de ma part.” Parfois, le rappel de personnel ne suffit pas. “Dans des cas extrême, on est obligé de fermer des lits. Mais cela signifie moins de patients et moins d’argent.” Dans l’établissement où elle travaille, une “solution” à été trouvée : demander au cadre de reprendre du service comme infirmier ou aide-soignant pour remplacer le personnel absent. “Piquer quelqu’un c’est comme le vélo quand on arrête le soin on perd la main. Ca engendre un stress énorme pour le cadre, en plus de la peur du jugement par l’équipe qu’il encadre. On est pratiquement dans la mise en danger”, soupire-t-elle. Malgré tout, la jeune femme s’estime chanceuse : elle a une bonne relation avec la hiérarchie.
Elle se bat également, pour soutenir l’équipe qu’elle encadre, notamment lorsqu’elle est en souffrance. “J’écoute, mais il faut répondre aux demande des gens, trouver des solutions. C’est très difficile, on est très démuni quand quelqu’un rentre dans le bureau et se met à pleurer. C’est atroce, on ne sait pas quoi dire.” Hélène soulève de nombreux cas de mal-être au travail. Le directeur des soins, l’a également remarqué, insistant sur la nécessité de la prévention : “Le burn-out est un phénomène fréquent.”
L’implication qu’Hélène met dans son travail ne l’a pas laissé indemne : “Au début, mon temps de présence et ma disponibilité dépassait les douze heures par jour. J’ai sacrifié ma vie privée : je travaillais le week-end. Je finissais mes plannings à la maison, je pensais tout le temps au travail.” A la suite d’une formation, Hélène apprend à dire stop et à se ménager. Ce n’est pas le cas de tous ses collègues. “L’un d’entre-eux a totalement craqué il a été arrêté plusieurs mois. On se sent très isolé parce qu’on a beau être dans l’équipe on reste seul dans un bureau.” Une pression qui selon-elle, explique beaucoup quant à l’attitude de certains cadres : “Certains cadres de santé sont froids et tranchant pour se protéger, car marre qu’on tire sur le messager. On vous appelle pour l’imprimante qui ne marche plus, pour l’arrêt maladie, pour l’audit mais vous avez, au final, très peu de pouvoir de décision.”
Ceux qui ont le pouvoir de décision, ce sont les directeurs d’hôpitaux. Selon Clara de Bort, qui a exercé cet emploi, cette fonction n’est pas aisée. “Il faut rappeler que nous sommes des juristes et non des financiers”, commence-t-elle. “On doit faire des arbitrages compliqués. Certains sont très critiques sur le fait que les hôpitaux devraient être dirigés par les médecins, mais très peu candidatent, c’est différent de leur métier.” Pour mieux cerner les enjeux de son poste, elle rappelle que le patron d’un aéroport n’est pas pilote. “L’hôpital, c’est une organisation qui doit tourner 24H24, qui accueille public très fragile, et utilise des produits chimiques”, détaille-t-elle.
Cette directrice apporte d’autres pistes de réflexions sur le manque de personnel : “Beaucoup d’infirmiers idéalisent complètement leur fonction et n’en voient pas certains aspects, très fort et pénibles. Notamment en matière de rapport aux corps ou aux odeurs. Ils ne mesurent pas ce que ça veut dire de se lever à cinq heures du matin pour aller travailler. On ne sait pas ce que ça veut dire de ne jamais avoir de vie sociale comme les autres.” Ces raisons expliquent, selon-elle, la difficulté à pourvoir des postes. “Ce sont plutôt les directeurs qui ne voient pas la réalité du métier et la pression qu’ils nous mettent”, ironise une autre cadre de santé. Clara de Bort pointe aussi la responsabilité des médecins : “J’ai eu des praticiens qui hurlaient parce qu’ils manquaient d’effectifs, mais toutes les infirmières qu’on leur mettait sous leurs ordres partaient au bout de six mois, car elles se sentaient maltraitées voire agressées.” Son travail, rappelle-t-elle, c’est aussi d’être dans un rapport de force avec les syndicats : “Certains syndicats tentaient de faire pleurer sur les conditions de travail, mais occultent une grande partie des problèmes.”
Qu’ils soient à un poste de direction ou simplement cadres, les quatre praticiens partagent la même opinion sur les mutations en cours à l’hôpital : il faut économiser. “Les exigences de l’accréditation en terme de qualité et de sécurité des soins deviennent quasi incompatibles avec la baisse des ressources financières, désormais presque entièrement liées à l’activité des services”, tranche l’ancien directeur des ressources humaines.
Licia Meysenq
(Cet article, issu d’un travail d’enquête dans les Alpes du Sud et élément d’un dossier plus large, nous permet notamment d’enrichir les échanges de notre Fête des Alp’ternatives qui aura pour thème « Prendre soin de la santé« )
2 commentaires