Je ne suis pas délinquante
J’habite trop loin, j’ai des enfants, j’ai mal au genou,
j’ai des excuses,
des mauvaises excuses.Je connais ceux qui arrivent, je les aide quand je peux, pour les papiers, pour faire un bout de chemin, vivre le moment présent. Celui de la fraternité, qui nous rend vivants, si vivants.
Je les entends me raconter l’effroi, la peur, l’humiliation, les violences…
avec pudeur toujours.
On m’a un peu tapé.
J’entends leurs silences,
je sais qu’ils sont les rescapés d’un enfer qui n’en finit pas.La nuit je suis dans mon lit, il y a mon amoureux à côté
Les enfants là-haut, trois petits chéris, leurs rêves de neige, de montagne
et de grands voyages.
c’est doux c’est chaudEt je pense au froid, là-haut là-bas
ça me réveille parfois
Je les vois se noyer, je les vois courir, appeler
Je les vois avoir froid avoir peur
Je suis dans mon lit si loin,
Je me sens lâche.
Trop fatiguée, trop épuisée.
Oui ce monde me fatigue.Je sais qu’ils recommenceront demain,
que s’ils n’y arrivent pas ce soir,
ils y arriveront un jour.
Ils n’ont pas de valise, ils n’ont rien que leurs espoirs
Et au creux du ventre ces nuits, ces jours, ces mois et parfois ces années d’humiliation.
Je me sens lâche, et j’ai honte.Pour protéger notre pays, notre petit bout de terre,
on violente, on humilie, on rejette, on accuse,
on tue en Méditerranée ou dans les Alpes.Qu’apprendrons mes petits enfants
dans leurs livres d’histoire ?
Qu’est-ce que nous leur dirons ?
Que nous avons laissé faire ?
Que ces hivers-là, je n’avais pas la force, le courage, que j’étais trop loin, qu’il fallait que je raconte une histoire qui finisse bien à mes enfants ?Je leur dirai, qu’il y avait des voisins, des amis, des inconnus, des gens bien qui se levaient la nuit.
Qui offraient du thé, un sourire, un bonnet, des gants.
Qui donnaient à chacun la chance
d’être un humain sur terre,
ni plus, ni moins.Merci aux maraudeurs, merci à toi Pierre, mon ami,
merci à toi Kevin que je ne connais pas.
Merci à vous tous.
J’espère un jour, oublier toutes mes excuses et venir avec vous.
Etre DEBOUT.La Grave le 9 janvier 2019
Je ne sais quoi dire, j’en n’ai plein le coeur et l’âme de cette tristesse, de cette lâcheté, de cette lourdeur culpabilisante et ne sachant pas l’exprimer c’est encore plus lourd. Vous venez de tout dire en ce merveilleux texte. Tout ce que je ressent parfois dans ma montagne, en sécurité dans mon chalet et malgré mes petits coups de mains au refuge, combien de fois je me dis que ce n’est pas suffisant, que je pourrais faire plus sur le terrain là haut . Alors je garde l’espoir, un jour d’avoir ce courage et de rejoindre Pierre et les autres dont je suis fière de croiser parfois le chemin. Merci Laeticia, je vais enfin pouvoir mettre des mots sur se malaise qui me laissait vulnérable fasse à moi même.
Et merci aussi pour tout vos autres articles qui sont toujours d’une grande justesse et d’une belle humanité.
Dominique.