De la représentation et de  la démocratie #1

Nous publions à partir d’aujourd’hui (et en 3 épisodes) un texte de Jean-Paul Leroux autour de la représentation et de son « rapport » à la démocratie. Il résonne comme une introduction à notre débat du mercredi 13 mars à 18h30 à Rambaud : Pour un débat sans date de péremption !

La 5ème République est, à l’heure actuelle, contrôlée par une oligarchie politique au service de la finance internationale. Le mot d’ordre appelant à une nouvelle constituante est porteur d’espoir pour les citoyens qui ne veulent plus être soumis aux aléas du marché et aux politiques de rigueur visant au démantèlement de la protection sociale et des services publics. Si nous voulons un véritable renouveau constitutionnel, il faut nous interroger sur les différentes conceptions de la démocratie et travailler à promouvoir celle qui sera en accord avec l’ensemble de nos pratiques et positions politiques.  

A l’heure actuelle notre système démocratique est sous-tendu par un ensemble de notions politiques qui, jusqu’à peu, faisait l’unanimité. Nos démocraties sont dites représentatives pour reprendre l’appellation créée par Antonelle en 1797. La notion de “représentation” est la clef de voûte de notre système politique.

Or, nos démocraties sont plongées dans une crise profonde de la représentation : abstention record aux élections, réélections quasi permanente des mêmes, cumuls des mandats, perte de confiance dans les élus, scandales politico-financiers à répétition, perte de prestige des institutions, désinvestissement des partis politiques par les citoyens, etc. Il serait facile d’allonger la liste. La crise institutionnelle est bien mise en avant dans les manifestations et sur les ronds points des gilets jaunes.

Les tenants de la démocratie participative sont en général d’accord avec ce constat. Ils veulent restaurer cette démocratie et pour cela ils prônent une plus grande participation des citoyens. Cette participation consiste à essayer de leurs donner un plus grand rôle en multipliant les débats sur des thèmes politiques (nationalités, nanotechnologie, etc.) dans le but de leurs redonner la parole, preuve s’il en fallait, que les citoyens n’avaient plus droit à la parole. Elle consiste aussi à essayer de redonner un certain pouvoir de contrôle aux citoyens sur les décisions des élus. Mais le grand défaut de cette approche est que le citoyen est exclu de l’essentiel, la prise de décision et l’action politique. Le statut des élus et l’ensemble constitutionnel ne changent pas. En effet, cette démocratie participative ressemble davantage à une série de béquilles que l’on apporte à la démocratie représentative qu’une remise en cause de la représentativité qui est la cause de la crise actuelle.

La notion de “représentation” étant  le problème interrogeons sa signification et son origine.

  1. Que signifie la notion de représentation ?

Sa signification est bien connue, un représentant est quelqu’un qui a la capacité de se substituer à la personne qu’il représente. Il est mandaté pour agir à la place d’un d’autre. Le mandataire abandonne au mandant sa capacité d’action. Un ambassadeur est le représentant de son souverain, le Pape est le représentant de Dieu sur terre, un gouvernant est le représentant de son peuple, il agit en son nom. L’électeur se fait représenter par son élu.

Le système de la représentation implique que le mandataire ait confiance dans le mandant, que le mandant soit honnête par rapport à la représentation qu’il reçoit, que le représentant ait aussi la confiance de ceux qui voulait avoir affaire au mandataire et qu’il accepte son substitut comme son représentant authentique. Le système, en dernière analyse, repose sur un sentiment celui de la confiance.

On le voit la représentation n’est pas d’abord un système politique. C’est un système qui nécessite un cadre juridique ayant comme ressort et énergie des sources affectives et morales (confiance, honnêteté). Le système de représentation implique que le mandataire transfère un de ses droits, ou la totalité de ceux-ci, à son mandant. Ce transfert, le droit à l’époque classique le nommait une aliénation. S’aliéner, c’est se déposséder. Thomas Hobbes utilise ce sens dans son Léviathan. Rousseau récupèrera ce sens dans son Contrat social. Le vote est le transfert de mes droits politiques à un autre. Ainsi j’aliène ma liberté d’action politique à un autre, je me dépossède de ma liberté politique au profit de l’élu. Les lois qu’il votera, il les votera en mon nom, alors que je n’interviens pas dans leurs élaborations, et j’aurai à m’y soumettre. Dit autrement, une fois le vote effectué, je dois m’abstenir de toute action politique puisque j’ai transféré mon pouvoir d’action politique à mon élu. Je deviens, en théorie, un “abstentionniste structurel”. Dans le système représentatif, le haut niveau d’abstention n’est pas conjoncturel mais structurel. Cependant comme l’aliénation n’est que théorique, dans la pratique chacun garde sa capacité d’action politique, et comme je ne peux pas intervenir de façon institutionnelle, j’interviens sous d’autres formes et dans d’autres lieux, tout spécialement dans la rue. La dualité, entre l’institution démocratique représentative et le recours à la rue, est structurelle, elle est une conséquence de la « représentativité » instituée en dogme constitutionnel.

Le représentant du peuple est l’élu non seulement des citoyens qui ont voté pour lui mais également de ceux qui n’ont pas voté pour lui. Ainsi, l’opération de l’élection réunit partisans et opposants dans une même personne ! Cette opération est une imposture car, en réalité, elle est impossible. L’élection de représentants est donc un acte logiquement incohérent. Et, en effet, aucun élu ne se comporte comme le représentant de tous les électeurs pour la bonne raison que cela lui est impossible.  Pour se tirer de ce mauvais pas, la théorie affirme, « il est un élu de la nation française et à ce titre il est chargé de représenter le Bien Commun de cette nation ». L’élection métamorphose l’élu en représentant du Bien Commun.  Ce sont les élus qui déterminent la nature de ce Bien Commun et lorsqu’une situation inattendue se présente, les élus doivent y faire face en ignorant ce qu’en pensent leurs électeurs. Ils peuvent même aller à l’encontre de leurs souhaits explicites. Bref, la « représentation » institue une coupure profonde entre les électeurs et les élus. L’existence de cette coupure a été pensée, voulue et instituée par les promoteurs de la  représentation.

(à suivre…)

Jean-Paul Leroux

épisode 2

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