Nous publions aujourd’hui le deuxième épisode du texte de Jean-Paul Leroux autour de la représentation et de son « rapport » à la démocratie (l’épisode 1 est ici !). Il résonne comme une introduction à notre débat du mercredi 13 mars à 18h30 à Rambaud : Pour un débat sans date de péremption !
- D’où vient la notion de représentation ?
Elle possède une origine multiple.
1) Théologique, le Pape est le représentant de Dieu sur terre depuis le XIIème siècle. C’est, entre autres, à cause de ce titre que la papauté est entrée en conflit avec le Saint Empire Germanique.
2) Esthétique, la naissance de la perspective lors de Renaissance italienne, donne une réalité visuelle, sensible, à l’idée de représentation. Un tableau en perspective passe pour la représentation de la réalité car à l’époque on confondait, et on confond souvent encore, image perspective et image visuelle.
3) Économique, la lettre de change, une des origines de notre système financier, ne peut fonctionner que si par exemple un banquier de Florence a des représentants à Bruges et réciproquement.
4) Juridique, dans certains cas, je pouvais et je peux toujours me faire représenter par une personne pour signer des actes à ma place lorsque je suis malade, absent, etc. Les avocats sont les représentants de leurs clients, ils parlent à leur place.
5) Finalement, la représentation entre dans le domaine politique par la théorie politique. Chez Thomas Hobbes, le Roi est la créature produite par le contrat social et il est le peuple à lui seul. Il peut donc le représenter sur la scène de l’histoire.
Le système représentatif a d’abord été choisi par les révolutionnaires anglais pour établir les droits du Parlement contre les droits royaux. Le parlementaire anglais n’était pas nécessairement attaché à une région ou à une ville, il était le représentant du Bien commun contre les intérêts du roi. Dans la victoire du système représentatif sur le système de démocratie directe, il existe un moment essentiel : celui de la Révolution Américaine. Les Pères Fondateurs se sont posés explicitement la question de savoir s’il fallait adopter la démocratie directe ou la démocratie représentative. Ils ont tous opté, rapidement, pour la représentation. Ils acceptent les analyses de Montesquieu disant que la démocratie directe n’est possible que dans des États de petites tailles comme l’étaient les cités grecques. Pour les États modernes, et tout spécialement les 13 États de l’Union, celle-ci a été réputée impraticable. Mais ils avaient surtout d’autres raisons.
Un des problèmes qu’affrontent les révolutionnaires américains est de construire un système politique qui ne permette pas à une majorité de violer les droits de la minorité. Pour cela il leur faut des remèdes. Il se trouve que la représentation est le premier de ces remèdes. En effet, le représentant une fois élu s’éloigne de sa circonscription, il échappe aux passions populaires, il se situe au-dessus de ses concitoyens pour considérer les problèmes non plus du point de vue de l’électeur de base, qu’il ait voté pour lui ou pas, mais d’un point de vue plus large, celui des intérêts de la République. L’élection a pour but, non pas de reproduire « l’honnête médiocrité » du corps électoral, mais de dégager une élite. Elle crée un fossé entre électeurs et élus. L’élu doit avoir des vertus qui le hissent au dessus du commun des mortels parce qu’il appartient à une aristocratie naturelle. L’élection n’a qu’un seul but, produire une élite de législateurs vertueux selon le vocabulaire des Pères Fondateurs. En d’autres termes, la représentation a pour fonction principale d’ériger une “oligarchie” séparée du peuple par l’élection même. Cela est pensé et voulu par les rédacteurs de la constitution américaine. Madison et Hamilton ont longuement défendu ce point de vue dans la série d’articles publiés sous la signature de Publius et regroupés dans l’ouvrage, The federalist papers.
Ces débats auront également lieu lors de la Révolution française. Dès la réunion des Etats Généraux, il y eut une discussion sur le mandat impératif. Les députés devaient-ils obéir à leurs mandants ? Étaient-ils des délégués chargés de défendre les intérêts de leurs mandants ? Cette idée fût écartée d’emblée par Louis XVI lui-même, afin que l’Assemblée puisse engager la Nation dans les décisions qu’elle prendrait sans avoir à revenir vers les électeurs. Sieyès ajoutait à cette argumentation du Roi la raison suivante, si l’on veut que les décisions soient les décisions de la Volonté Générale que Rousseau attribuait seulement au peuple, il faut que le représentant ne soit pas seulement l’élu de son ordre, sa fonction est de représenter la Volonté Générale elle-même, du moins de concourir à l’expression de la Volonté Générale et pour cela il faut qu’il soit indépendant des électeurs. L’expression de la Volonté Générale ne doit plus se fonder sur le peuple pour Sieyès, elle doit appartenir à l’Assemblée soit aux élus.
Les trois révolutions démocratiques, l’anglaise, l’américaine et la française finissent par admettre la seule démocratie représentative. Et finalement le système représentatif va être réputé supérieur au système de démocratie directe. Philippe Raynaud commente ainsi ce point : « Madison introduit une distinction essentielle entre la république et la démocratie (..) “on confond toujours une république avec une démocratie, et (..) l’on applique à la première les objections tirées de la nature de la seconde” ; or dit Madison, ces deux formes de gouvernement sont tout à fait différentes : “Dans une démocratie, le peuple s’assemble et gouverne lui-même ; dans une république, il s’assemble et gouverne par des représentants et des agents. Par suite, une démocratie doit être bornée à un petit espace. Une république peut embrasser un grand pays » (Le Fédéraliste, n°14). Les conditions de réalisation d’un régime républicain sont donc plus aisées à réunir que celles d’une démocratie : il faut, certes, que le gouvernement “tire ses pouvoirs directement ou indirectement de la grande masse du peuple”, et qu’il soit “administré par des personnes qui tiennent leur fonctions d’une manière précaire pour un temps limité, ou tant qu’elles se conduisent bien”.(..) La République représentative ne doit cependant pas être considéré comme un moindre mal : elle est au contraire une forme politique supérieure aux démocraties du passé. »
Ces analyses de Madison, un des Pères Fondateurs de la constitution américaine, sont très éclairantes. Elles permettent de dire que nous ne vivons pas dans un régime démocratique mais républicain. La différence entre les deux est que, bien qu’ils reposent sur le peuple, le premier seul donne le pouvoir au peuple. Le second donne le pouvoir aux « représentants » et même si ceux-ci sont élus, il ne s’agit pas du même régime car le second implique la coupure entre électeurs et élus, implique une division sociale du travail politique et donc l’exclusion du peuple du domaine du pouvoir. Sur cette coupure repose la nécessité d’un État compris comme structure séparée et “au dessus” du peuple. Dans la démocratie, au sens de Madison, il n’y a pas de structure séparée au dessus du peuple. Il n’y a pas d’État ! Mais les Pères Fondateurs des États-Unis veulent au-dessus des 13 états de l’Union un État Fédéral fort, ils ont donc un besoin absolu de la coupure entre le peuple et les représentants, ils ont un besoin absolu de la « représentation », celle-ci n’entre donc pas en contradiction avec un pouvoir fort, elle en est, paradoxalement, la condition de possibilité. La 5ème République Française est ainsi l’aboutissement logique de la démocratie représentative, non pas une erreur due à un « coup d’état permanent » pour reprendre le titre d’un ouvrage de François Mitterrand, mais la manifestation de l’essence même de la représentation !
Il apparaît donc clairement qu’appeler à une Constituante n’a de sens que si l’on sort du paradigme de la représentation. Le mot d’ordre “Place au Peuple » n’a de sens que si la représentation est critiquée, dépassée, annulée. Dans tous les autres cas on en reste aux positions de Madison, on en reste à la vision d’un État fort en tant que séparé du peuple. Est-ce cela que nous voulons ?
(à suivre…)
Jean-Paul Leroux
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