Même salle d’audience n°16 de la cour d’appel du tribunal de Grenoble, mêmes représentants de justice, même heure: 14h00, mêmes manifestants plus nombreux sont présents dehors, un même solidaire est à la barre pour se défendre. Hier le 23 octobre, Kévin a été condamné par ce même tribunal en appel du 2 octobre, à deux mois de prison avec sursis pour aide à entrée sur le territoire des sans papiers et refus d’obtempérer. Nous sommes le 24 octobre et l’appel d’air espéré est déjà comprimé.
La présidente du jury, annonce la peine requise par le tribunal de Gap, lit le procès-verbal des agents de la police aux frontières et demande à l’accusé, Pierre, mais pourquoi vous faites appel ? « Je fais appel parce que… bah je conteste ma culpabilité ! » Et c’est là où commence toute la complexité de ce procès, la parole d’un citoyen contre celles d’agents assermentés. Les autres personnes présentes de cette fameuse nuit du 06 janvier 2018 à Montgenèvre, station de ski située à 1800 métres d’altitude et à 2 km de la frontière franco-italienne. Deux journalistes italiens et deux solidaires de passage dans la région, ont dit ne pas connaitre Pierre, sûrement par peur d’être aussi à la barre aujourd’hui. Qu’importe, le procès-verbal accuse Pierre seul de délit obstruction et aide aux migrants pour passer la frontière et pour s’être enfui de la voiture de police. Et bien, cela fait beaucoup pour un seul homme… Mais ce soir là, il y avait une caméra pour filmer la scène, et si le tribunal de Gap n’a pas voulu la visionner, la salle d’audience de Grenoble va la voir dans son intégralité. 19 minutes de film brut, sans montage, avec du son, pour prouver l’innocence d’un solidaire de plus.
L’avocat général, fait alors son travail du « tout est possible pour sauver l’impossible » . Tous les faits rendus dans le procès-verbal sont contredis dans cette vidéo, tous. Rien n’est conforme avec l’attestation du pouvoir de police dira la présidente du jury. Mais selon lui, il manque des scènes. On entend que le solidaire s’oppose verbalement aux policiers car il a dit « qu’est ce qu’ils vous ont demandé ? », ce DVD n’est pas probant, « on ne voit pas qui ouvre la porte de la voiture de police pour faire sortir les migrants ». Certes on voit juste que Pierre est loin de cette voiture avec un autre policier mais comme on ne voit pas qui ouvre et que c’est écrit dans le rapport c’est donc lui … Puis il continu « Par ce procès vous accusez les policiers de mensonges, des représentants de l’ordre public, c’est inacceptable. Comment expliquez-vous qu’ils s’acharneraient sur vous ? » Pierre répond « Je ne sais pas, je ne sais pas quoi vous répondre. »C’est ainsi qu’il retourne l’histoire… il rappelle que ce solidaire a déjà été contrôlé pour des procédures similaires à Briançon avec des migrants, que cela n’est pas de la fraternité mais de la facilité à l’aide à l’entrée. Les relevés téléphoniques bornent en Italie plein de fois, l’accusé a beau expliqué que dans le Briançonnais vous êtes souvent sur le réseau Italien en étant en France, rien à dire il requiert trois mois avec sursis pour obstruction et aide.
Philippe Chaudon, l’avocat du solidaire plaide même si en fait il n’y a rien à plaider, tout a été vu. C’est juste rocambolesque cette histoire. Il rappelle qu’il est présent pour défendre Pierre et non pour accusé la police des frontières de mensonges ! L’histoire a été vue, Pierre, les journalistes et deux autres maraudeurs ont trouvé ces 4 migrants en détresse sur le front de neige de Montgenèvre. Ils leur ont apporté du thé, des vêtements chauds… il fait entre -10°c et -15°c, les deux agents de la police des frontières arrivent, procèdent à un contrôle d’identité avec la lampe de Pierre qui les éclaire lui-même ! Ils emmènent les migrants à leur voiture, une des migrantes est très faible, Pierre et ses accompagnants restent par humanité pour l’aider. Pierre lui donne une couverture de survie, la porte dans la voiture des policiers. L’un des policiers parlemente avec les journalistes Italiens pour qu’il récupère le film contre sa carte d’identité, il sort de la voiture. La voiture part devant sur la route enneigée à vitesse faible, Pierre essaye de traduire le dialogue entre les journalistes et le policier, en marchant. Puis trois des migrants passent à pied à côté d’eux, ils ont juste ouvert seuls la portière qui n’été pas verrouillée, tout simplement. Pierre court jusqu’à la voiture de police, pour secourir la femme qui est restée à l’arrière, qui semble crier et souffre depuis un moment. Il demande aux policiers d’appeler les pompiers pour la troisième fois. Après il appellera lui-même le 112 pour être sûr qu’ils les ont prévenu, preuve sur son téléphone. La femme est emmenée à l’hôpital et l’accompagnera une fois soignée au refuge solidaire de Briançon, comme tous les solidaires qui font acte d’humanité ! Personne n’a touché la porte de la voiture, personne n’a été violent, personne n’a passé la frontière, juste certains ont sûrement fait des erreurs professionnelles. L’avocat explique ensuite pourquoi les téléphones bornent en Italie, avec le phénomène du roaming. Il dit alors « il n’y a pas plus honnête que mon client, c’est juste un humain qui est un peu plus humain que les autres, qui dans une situation d’humanité à aider une femme en souffrance !… Il n’y a pas d’autres solutions que la relaxe. »
La salle d’audience pense sûrement la même chose, mais il faudra encore attendre le 21 novembre pour un délibéré de plus. Et pourtant et alors que nous nous trouvons dans un cadre géographique spécifique, rappelle la présidente du jury, alors que nous nous trouvons face à une situation politique très complexe par ce procès, les exilés passeront encore et les maraudeurs et solidaires les sauveront encore. Une question se pose, sans film, comment prouveront-ils leurs innocences ?
C’est encore l’automne, il y a encore une lueur d’espoir, et pourtant l’hiver arrive à grand pas en montagne, la neige est déjà là.
Alice Prud’homme