Pascale Escalier raconte la manifestation réussie et pluvieuse contre les violences faites aux femmes à Gap. Elle a profité de ce rassemblement, inédit dans la capitale douce de 200 personnes, pour rencontrer l’avocate maître Vibert-Guigue et pour collecter le témoignage de Camille qui évoque son calvaire et l’importance de la mobilisation féministe. LEC.
Les fondements de notre société patriarcale n’en finissent pas de seulement se fissurer, malgré la pression du mouvement féministe… Déterminant l’irruption de l’injonction libératrice, « Balance ton porc » entraîne une salutaire libération de la parole des femmes, sans, toutefois, que la réponse judiciaire suive réellement le mouvement.
Une indéfectible lutte féministe
A l’appel du collectif « Nous Toutes 05» deux cent manifestants des deux sexes se sont rassemblés devant le tribunal de Gap, ce vingt-trois novembre 2 019. Tous dénoncent les violences faites aux femmes, grave fléau social. La triste météo trempant froidement les participants n’entama en rien leur détermination! Ce cortège mélangeant des syndicalistes, des citoyens, des gilets jaunes fut renforcé par la présence d’associations dédiées aux femmes (NDLR : CIDFF, le Planning Familial…).
crédit photos Julien ROYER
Soudain la mobilisation se mit en mouvement, dans les rues. Omniprésentes, des pancartes portées par les manifestants arborent des messages percutants, témoins de l’absurdité des idées reçues courantes concernant les agressions et abus impactant la gente féminine. L’ ambiance revendicative se teinte d’ une relative gravité, soutenue par des slogans : « Mon corps m’ appartient ! » ou « Le viol est un crime! ». Au fil du défilé des prises de paroles témoignent de la réalité de ces violences… de paroles poignantes et combatives à la fois.
Des enjeux sociétaux de taille
En creux, ces agressions reflètent les importantes carences éducatives et sociales et un schéma de modèle familial patriarcal; Ancrée dans les esprits d’une partie de nos concitoyens, ce modèle d’un vieux monde a pour conséquence une éducation sexiste, qui persiste en une représentation féminine et sa place dans le couple, déterminée.
L’absurde parcours de combattante de la victime
Interview de Maître Vibert-Guigue, avocate gapençaise rencontrée au sein du cortège (enregistrement audio retranscrit)
« La question est complexe, parce que le nombre de classements sans suite qui intervient peut effectivement beaucoup surprendre. Mais je dois dire en tant qu’avocate que c’est souvent dû à la question de la preuve. Très souvent les agressions sexuelles, les abus, les viols se déroulent dans l’intimité des alcôves, dans des chambres voire même peut- être parfois dans des lieux extérieurs; sans témoins. Ce qui fait que le débat trop souvent se résume à la parole de l’un contre la parole de l’autre.
En tous les cas c’est comme ça que les choses nous sont présentées. En disant bien non, on ne peut pas faire valoir plus la parole de la victime et donner plus de poids que la parole de l’accusé d’agression. Mais dans les faits il y a aussi des débats liés aux faits et que les enquêtes sont en fait bâclées. Trop peu d’enquêtes se contentent d’interroger la victime et la personne de l’ agresseur, sans essayer de faire réellement des investigations. De voir si la victime en avait parlé. Parce que c’est un élément, un indice qui donne beaucoup de poids et de véracité puis éventuellement d’avoir recours à une expertise. On le fait quand les faits sont plus ou moins avérés. Trop peu souvent on a recours à des expertises de la victime. D’ ailleurs c’ est un peu le seul élément : On va expertiser la victime pour vérifier que sa parole est crédible, alors que dans d’ autres infractions pénales on n’ a pas recours à ce genre de pratiques. Ce qui veut dire quand même qu’ il y a une sorte de suspicion sur la parole des victimes dans notre système judiciaire ou pénal.
Après je pense que trop souvent les affaires sont effectivement mal menées. Peu d’ enquêtes aboutissent. De fait les femmes ne portent pas plainte ou trop peu. Il y a un véritable défaut dans les commissariats. On nous dit qu’ils ont fait beaucoup d’ efforts etc… En fait au commissariat de Gap je vois des tas de clientes revenir, en disant qu’ on a refusé de prendre leur plainte. Qu’on leur a dit : « Vous n’ avez pas de certificat médical. Donc c’ est pas la peine ». Alors notamment lorsque c’ est le conjoint qui vous tape dessus: Il n’ y a pas besoin de certificat médical.
On essaye de les persuader de ne pas déposer plainte, mais seulement une main courante. Des tas de femmes déposent des mains courantes. Mais en fait il n’ y a pas réellement de suites derrière. Et c’est vrai !
En plus au commissariat de Gap, moi je tiens à le dire, Parce que l’ accueil proposé pour déposer plainte est problématique: en fait une personne est derrière un bureau dans la salle d’ attente. Tout est ouvert et on commence à vous faire raconter une douloureuse histoire devant tout le monde et ça c’ est inacceptable ! Beaucoup de femmes vont renoncer, obligées de devoir se soumettre à une épreuve. Elles ne déposeront pas plainte, contre les conditions d’ accueil à mon avis défavorables. Je fais remarquer que, quand même, demander à quelqu’un de venir raconter quelque chose d’ aussi douloureux, devant des gens assis à côté, est inacceptable. On vous répond : « Y’ a pas de bureau ». Et c’ est quand même fréquent.
Donc oui ! Il y a beaucoup à dire sur le traitement judiciaire des agressions sexuelles, des violences conjugales en général. C’ est à dire, quand vous voyez quand même que 80 pour cent des dossiers sont classés sans suite ! Et que les chiffres qu’ on connait se résument aux femmes, qui finissent par mourir sous les coups de leur mari… Les deux tiers avaient déjà déposé des plaintes au commissariat auparavant. Ça veut bien dire que dans ces affaires. Il y a quelque chose qui ne fonctionne pas…Ca a l’ air connu, puisque la ministre de la justice a dit qu’ il y avait un réel dysfonctionnement. La parole des femmes est réellement minimisée de fait.
Malheureusement aussi je dirais que la majorité des policiers et des gendarmes sont des hommes. Y a des femmes mais ce sont majoritairement des hommes, ce qui n’est pas indifférent à comment on reçoit la parole des femmes quand on est dans une société machiste où les violences relèvent, pour moi, aussi d’ un système. Depuis des années c’ est des violences systémiques, pour ne pas dire systématiques. Donc il y a énormément de progrès à faire sur cette question là, c’est sûr, au niveau de l’ accueil et de la prévention, de l’ enquête, parce qu’ensuite ca vient au tribunal correctionnel. Quand vous avez un dossier où il y a quasiment rien dedans, vous vous exposez à ce que le résultat soit effectivement une relaxe, impossible à condamner.
Après il y a aussi le fait que, par exemple, pour les viols, infraction criminelle relevant normalement d’ une instruction, à Gap, les affaires criminelles ne sont plus traitées par le juge d’ instruction de Gap mais au pôle d’instruction de Grenoble. Donc ça rajoute pour les victimes l’obligation de se rendre à Grenoble pour rencontrer un juge, situation pas aisée. Ce qui représente un coût. Après se pose la question de l’ avocat. Est-ce que vous prenez un avocat à Grenoble ? Ca veut dire là encore vous déplacer, pour le rencontrer à Grenoble, chose peu aisée. Vous avez besoin qu’il soit accessible (donc) vous prenez un avocat à Gap où les dossiers sont en général traités à l’aide juridictionnelle. Lui aussi va devoir du coup se déplacer jusqu’à Grenoble, pour assister son client. Ce n’est pas à mon avis quelque chose de satisfaisant. Et le fait d’avoir supprimé toute instruction criminelle dans des petits départements comme le nôtre rajoute en fait à la difficulté de la plainte et du suivi des plaintes. »
Témoignage de Camille
Nous avons aussi rencontré celle que nous appellerons Camille et qui nous raconte son calvaire et aussi ses espoirs.
« Il faut dire stop aux violences conjugales, qu’elles soient physiques ou psychologiques. Stop aux emplois précaires qui nous mettent dans la misère. Stop aux contrats partiels non choisis mais imposés par les employeurs.
Mesdames, mesdemoiselles dénoncez ce système mais aussi toutes ces violences qui sont inacceptables. Bien sûr on a peur, peur d’être mal accueilli, mal jugée. Mais il faut oser casser et briser ce silence et en parler. Là on se rend compte qu’on n’est pas les seules à qui ça arrive. Et là on se sent plus forte. L’union fait la force.
Cependant il faut reconnaître qu’il manque des lieux d’accueil. Que la police n’est pas assez formée face à cela. Aussi il manque des hébergements d’urgence pour accueillir ces femmes, dans ces situations de grand désespoir.
Il existe sur Gap le CIDFF. Sans information des droits des femmes et des familles, elles sont en danger. Elles m’ont beaucoup aidée avant, pendant et après mon divorce. Il faut se faire aider. Car seul on n’y arrive pas. Et je peux dire que grâce à eux, à mon toubib, à ma psychologue, aux amis, à ma famille surtout je m’en suis sortie. Et puis au sortir de ces épreuves on se sent plus forte, plus soulagée comme nettoyée, lavée de l’intérieur.
Bien sûr les violences physiques sont terribles, même terrifiantes. Mais les violences psychologiques sont autant destructrices. Elles sont insidieuses, sournoises. J’ai eu le sentiment qu’il m’avait fait un lavage de cerveau. L’effet de nous détruire à petit feu, de nous rabaisser, de nous humilier jusqu’au plus profond de notre être, et de notre cœur de femme, de maman, de jeune fille.
Pour ma part celle-ci a duré vingt ans. Vingt ans de trop de ma vie, de perdu, de gâché. Actuellement je n’ai pas refait ma vie. Mon cœur reste encore meurtri et brisé. Tout ce vécu est lourd à porter. Et ça m’a fait du bien de vous en parler.
J’ai fait ce témoignage afin de dénoncer ces horribles violences afin que plus jamais cela ne se reproduise. J’ai cinquante-neuf ans. Sans oublier les femmes victimes de harcèlement au travail, pas seulement à la maison aussi. Et je confie à Pascale qu’ elle le passe dans son journal, qui ne sera pas censuré.
Cependant je garde l’espoir que peut-être un jour le grand amour frappera à la porte de ma maison, pour n’emmener pour une grande et belle aventure. Oui j’ y crois encore ! Comme dit si bien Ferrat « La femme et l’ avenir de l’homme ».
Signée Camille «
En ces jours où nous ne savons pas ce qu’est l’avenir de l’Homme… S’il en a un ou si tout s’effondre, que valent ces grandes questions existentielles s’il ne regarde que son nombril et continue de mépriser, de battre, de maltraiter celui d’où il vient ?
Pascale Escallier
Journaliste