Sauvetage en mer, sauvetage en montagne, même combat ! Récit d’une maraude humanitaire au col du Montgenèvre

Pour la 2ème année consécutive, les associations Tous Migrants (TM) et la fondation Médecins du Monde (MdM) se sont associés pour mettre en place une Unité Mobile de Mise à l’Abri, en complément des maraudes nocturnes qui se mènent depuis l’hiver 2016-2017 dans les cols frontaliers du Briançonnais. Les sauvetages ne s’opèrent pas seulement en Méditerranée, oui, dans notre beau département des Hautes-Alpes, des opérations de sauvetage en montagne ont lieu également. 

Avant dernier jour de l’année 2019, je monte en stop l’après midi, depuis Gap, pour rejoindre Briançon ; j’y fais connaissance avec une jeune médecin bénévole pour Médecins du Monde (MdM). Briefing avec l’équipe, point matériel, on charge le coffre du véhicule de caisses, une avec des gants, bonnets, chaussettes chaudes, manteaux, couvertures de survie, une autres avec des chaussures chaudes, une dernière avec une trousse à pharmacie bien fournie. Mais nous avons oublié les thermomètres : on retourne au local en chercher. Nous sommes prêts, ce soir là, je suis chauffeur bénévole pour l’association Tous Migrants de la voiture officielle de MdM, les portières du véhicule estampillées du logo de MdM. Nous voilà partis en  patrouille nocturne pour plusieurs heures sur la station de ski de Montgenèvre.

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La station brille de mille lumières, parures des fêtes de fin d’année ; on aperçoit les intérieurs cossus des appartements, les personnes s’affairent pour préparer le Réveillon qui a lieu le lendemain.  Image idyllique, presque féérique ; mais il n’en n’est rien, non, nous ne sommes pas dans le conte de la reine des neiges qui passe en ce moment sur les écrans. Notre mission ce soir là n’a rien d’enchanteur, nous scrutons les montagnes pour venir en aide à d’éventuels migrants qui chercheraient  à rejoindre Briançon depuis l’Italie et qui pour, effectuer ce passage, se mettent en danger pour échapper aux contrôles de police et aux renvois systématiques en Italie. Ces dangers sont accentués par les conditions climatiques rigoureuses qui règnent l’hiver à cette altitude. 

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Notre équipée, quant à elle, chaudement habillée, ce qui n’est pas toujours le cas de ces exilés qui traversent à pied, des heures durant, un paysage de neige hostile et qui, selon les conditions climatiques, peut s’avérer mortel. Pour éviter les patrouilles de la Police de l’Air et des Frontières (la PAF), certains migrants s’aventurent hors des sentiers battus où la progression dans une neige profonde demande des efforts surhumains pour des personnes qui, pour beaucoup, n’ont jamais vu la neige de leur vie.

OLYMPUS DIGITAL CAMERASecours de Moussa par l’hélicoptère du PGHM (Peleton de Gendarmerie de Haute Montagne) de Briançon, du 17 décembre 2019 

Je me rappelle de Moussa, le 17 décembre 2017, qu’on a trouvé à 11h du matin dans un couloir d’avalanche au-delà du col de l’Echelle, par une température de -17°C et qui, pieds nus, après avoir enlevé ses chaussures parce qu’il avait mal aux pieds, s’est retrouvé bloqué avec de la neige jusqu’aux hanches. Je me rappelle de ses mots,  à l’hôpital: « je suis désolé, je ne savais pas que c’était dangereux, je ne le referai plus ».

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La neige, l’hiver, je peux vous en parler, je suis accompagnateur en montagne depuis 25 ans, et 6 jours sur 7, l’hiver, j’évolue à raquettes pour progresser sur ce manteau neigeux qui attire tant de touristes. Sauf que moi, c’est pour le plaisir, plaisir partagé en accompagnant  des citadins en mal de nature, d’oxygène et d’exercice physique, pour découvrir nos belles montagnes des Hautes-Alpes. Progresser avec des raquettes est parfois difficile ; mais imaginez sans raquettes, et en baskets de surcroît, et de nuit : ça dépasse l’entendement ! Les risques d’épuisement, d’engelures, voire de gelures qui peuvent aboutir sur une amputation les guettent. Certains y ont même laissé leur vie. 

 Ce soir là, je mesure 1,5 mètre de hauteur de neige. Lorsque nous quittons la voiture, impossible de sortir des sentiers damés, nos pieds sont engloutis par la hauteur de neige. Mais comment font-ils ? 

OLYMPUS DIGITAL CAMERAMaraude dans la station de Montgenèvre

De savoir des personnes en danger dans nos montagnes m’est insupportable tout comme le sont les pressions policières et judiciaires qui pèsent sur les maraudeurs solidaires. J’ai été formé par l’Etat français pour, entre autres,  secourir des gens en montagne. En France, la non-assistance à personne en danger est passible de 5 ans d’emprisonnement ; et ce même Etat, par des intimidations, des poursuites, cherche à nous faire endosser le rôle de passeur, qui est passible de 5 ans d’emprisonnement. Cherchez où votre cœur balance ? Avec ma partenaire médecin, nous nous sentons légitimes : notre place est là. Tous les soirs, des maraudeurs bénévoles (dont certains venus de régions françaises lointaines),  partagent ce même sentiment. Non et non, la solidarité n’est pas un délit.

OLYMPUS DIGITAL CAMERAMaraude sur le front de neige de la station de Montgenèvre

Un jeu du chat et de la souris ! Le long de notre frontière avec l’Italie, de nombreux gendarmes avec des moyens matériels importants (motos neige, drones, voitures banalisées, jumelles infra rouge…) cherchent à intercepter ces exilés en recherche de protection et d’espoir, donc d’avenir tout simplement. En effet, chez eux, la violence, la corruption, les conditions de vie ne leur en offrent pas. Le plus souvent, ces personnes à la peau noire, une fois interceptées, sont refoulées dans le froid côté italien, souvent au mépris de la loi mais aussi et surtout de leur état de santé. Rappelons-le, toute personne peut entrer  en France, il n’y a rien d’illégal. S’il s’agit d’un mineur, une procédure de vérification de minorité est menée par le Conseil Départemental. Si la personne est majeure, elle peut demander l’asile politique et là encore, une procédure s’enclenche et elle bénéficie de la « protection » de l’Etat français le temps de l’instruction du dossier. Ça c’est la loi, notre belle loi républicaine, celle qui honore les principes de liberté, d’égalité et de fraternité. Dans les fais il n’en est rien et les manifestations pour dénoncer les violences policières à la frontière sont l’expression de ce dégoût et ce refus d’enterrer la fraternité.

Minuit, nous redescendons sur Briançon, nous n’avons trouvé personne ce soir là. Cela ne nous rassure pas pour autant : peut-être sont ils passés plus haut. Toujours est-il, qu’on espère ne plus trouver de mort à la fonte des neiges, ce printemps, comme les années précédentes.

Le lendemain et les jours qui suivent, d’autres équipes de maraudeurs prendront le relais.

Si vous souhaitez participer aux maraudes, vous pouvez contacter l’association Tous Migrants en écrivant à tousmigrants@gmail.com ou via le site de l’association www.tousmigrants.org

Etienne Trautmann, Accompagnateur En Montagne, bénévole association Tous Migrants (texte et photos)

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